Heinrich Böll : un centenaire au coeur de notre temps

Hommage

Aujourd’hui le grand écrivain et intellectuel allemand, Heinrich Böll, dont notre fondation est fière de porter le nom, aurait eu 100 ans. Il est né le 21 décembre 1917, en pleine guerre : le massacre horrible de la Première Guerre mondiale était dans sa phase finale, très brutale, avec déjà des millions de morts français, allemands et des autres pays se battant dans cette catastrophe sanglante au cœur de l’Europe.

Centenaire de Heinrich Böll

Aujourd’hui le grand écrivain et intellectuel allemand, Heinrich Böll, dont notre fondation est fière de porter le nom, aurait eu 100 ans. Il est né le 21 décembre 1917, en pleine guerre : le massacre horrible de la Première Guerre mondiale était dans sa phase finale, très brutale, avec déjà des millions de morts français, allemands et des autres pays se battant dans cette catastrophe sanglante au cœur de l’Europe.

À l’âge de 25 ans, Heinrich Böll tombe dans une seconde guerre. Soldat, il doit participer aux combats contre la France. Pendant cette période, il écrit régulièrement des lettres à sa famille, qui sont publiées aujourd’hui. Dans une de ces lettres, le 7 août 1940, il constate, effrayé : « Il n’y a rien de plus horrible que la guerre… ».

La jeunesse de Heinrich Böll peut nous interpeller sur la situation actuelle, et la manière dont nos générations qui ont le même âge que lui à l’époque, grandissent en Europe aujourd’hui : malgré tout les problèmes sociaux, elles vivent dans une situation de paix, de prospérité. Dans une situation où les grandes puissances ennemies de ces deux guerres, la France et l’Allemagne, sont devenues des partenaires très proches et même, des amies. Nos deux pays résolvent leurs conflits avec la plupart des autres pays européens autour de la même table à Bruxelles et non plus sur des champs de bataille.

Revenu de la guerre, Heinrich Böll se confronte à deux velléités de la population d’Allemagne de l’Ouest : oublier au plus vite la guerre et ses conséquences, et se délester de la responsabilité et de la culpabilité dans cette guerre et plus particulièrement dans l’abominable extermination des Juifs d’Europe. Heinrich Böll refuse de participer à cet oubli collectif, et il n’hésite pas à provoquer l’opinion publique pour que ce passé et les responsabilités qui lui sont associées restent bien présents dans le débat en Allemagne.

Il l’a fait avant tout pour contribuer à la construction d’un autre modèle dans l’Allemagne d’après-guerre, celui d’une véritable démocratie pluraliste, qui met la dignité de chaque individu et la tolérance à l’égard de toutes les manières de vivre au cœur de ses valeurs et de son action. Cela fut un combat long et difficile. Heinrich Böll fut un acteur important dans l’installation d’une véritable démocratie en Allemagne, pour la première fois dans l’histoire du pays.

Il fallait beaucoup de courage pour le faire. Heinrich Böll était durement attaqué et diffamé pour son engagement, pour ses courageuses prise de position, pour sa défense des principes de base d’une démocratie pluraliste et d’un État de droit.

La nouvelle « L’honneur perdu de Katharina Blum » - dont le sous-titre « Ou comment peut naître la violence et où elle peut conduire » est sans équivoque -  témoigne de ce courage. Écrire un livre qui critique directement et ouvertement les pratiques d’alors du plus grand et plus puissant journal de ce temps, la Bild-Zeitung, était un acte courageux.

Cet ouvrage montre aussi toute l’actualité de Heinrich Böll, et à quel point son œuvre, ses réflexions et ses essais ne sont pas moins importants aujourd’hui qu’ils ne l’ont été hier. Certes, ni internet, ni les réseaux sociaux n’existaient à l’époque. Cependant, Böll montre les mécanismes des fake news, la manière dont on peut détruire la réputation, l’image d’une personne et même sa vie : ce sont des questions d’une grande actualité. Il y montre aussi l’opposition qu’il peut y avoir entre un journalisme qui suit les valeurs et l’éthique de sa profession contre un journalisme, qui s’intéresse seulement à la maximisation des sensations et à briser les tabous dans le seul but d’augmenter les tirages, les quotas ou les clics – cela devrait être au cœur du débat aujourd’hui. Un autre point clé de cet ouvrage frappe par son actualité : le danger de l’hystérisation du débat public face à la menace terroriste, une hystérisation qui peut parfois vite aboutir à une remise en question des fondamentaux d’un état de droit. 

Heinrich Böll n’était pas qu’un grand écrivain. Il était devenu un intellectuel incontournable qui s’engageait, qui intervenait, qui était prêt à prendre parti lorsque cela était nécessaire. En France, la figure de l’écrivain, de l’artiste et du philosophe qui s’engage et prend partie comme intellectuel dans les débats de son époque est presque une évidence. En Allemagne, c’est une exception. Aujourd’hui, avec l’entrée de l’extrême droite au parlement pour la première fois en Allemagne depuis la fin de la guerre, ce sont les acquis d’une démocratie pluraliste et progressiste et d’une Europe commune qui sont remis en question, et sur ce sujet et dans cette situation, un personnage comme Heinrich Böll manque cruellement.

Heinrich Böll était aussi une exception en Allemagne par sa façon d’écrire : ses armes d’écrivain étaient l’humour, l’ironie et la satire. Il faut admettre - ce n’est malheureusement pas seulement un cliché - que l’humour et l’ironie ne sont pas des points forts de la culture allemande – mais ils le sont chez Heinrich Böll. Sa nouvelle « Pas seulement à Noël », qui traite avec beaucoup d’ironie les rituels qui accompagnent les célébrations de Noël qui nous attendent en cette fin d’année, n’a rien perdu de son actualité. Elle ne provoque toutefois heureusement plus un scandale aujourd’hui, comme ce fut le cas lors de sa parution en 1952.

Heinrich Böll était l’un des plus classiques avocats des Lumières et de l’Humanisme. L’échelle de référence d’une société progressiste était, pour lui, sa manière de traiter chaque individu dans toute sa dignité et sa singularité. Ses pensées et ses réflexions sont aujourd’hui d’une presqu’effrayante actualité : son centenaire est une occasion idéale pour redécouvrir son œuvre et le prisme de lecture qu’elle offre sur notre temps, un temps où l’on ne peut se passer de l’humanité et de la compassion, bien au contraire, comme nous le rappelle Heinrich Böll :

« J’ai l’impression que l’on veut nous persuader que le temps de l’humanité est passé, que le temps de la compassion est passé. Les cœurs durs se brisent plus facilement que les cœurs compatissants, qui sont dotés d’une grande force. »