Arabellion de trois ans : Le printemps des femmes? Article paru en Février 2014

Des femmes manifestant sur la Place Tahrir au Caire en février 2011.

Le printemps arabe a commencé il y a trois ans. La série de manifestations, d'émeutes et de révolutions a changé fondamentalement les pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. La participation des femmes en particulier était importante : elles ont joué un rôle central dans les luttes politiques - comme actrices, militantes, suiveuses, délinquantes et aussi comme victimes.

Le commencement du printemps arabe montre déjà comment nous devons voir différemment le rôle des femmes. Son point de départ était la ville tunisienne de Sidi Bouzid où. Ici, Faida Hamdi, une collaboratrice de la municipalité, a vécu jusqu’à fin de 2010. Sa tâche consistait à punir la vente illégale de légumes. Le 17 décembre 2010, elle a rencontré Mohammed Bouazizi, qui vendait des légumes sans permis. Il y avait un différend entre les deux, au cours duquel Faida giflait prétendument le commerçant. Elle nie cela jusqu'à aujourd'hui, le déroulement de ce fait ne peut plus être clairement retracé. Mais ce qui est certain, c'est que les marchandises ont été confisquées, et Mohammed Bouazizi se sentait injustement traité - par le régime corrompu de Ben Ali, qui était, de plus, représenté par une femme. Bouazizi s'est arrosé d'essence et s'est incendié. Avec cette auto-incinération, la révolution tunisienne – et donc le printemps arabe a commencé. Mohammed Bouazizi succombait à ses blessures le 4 janvier 2011. Il n'a pas pu croire qu'il avait déclenché une révolution. Et Faida Hamdi aussi n'a pas pu imaginer qu'elle était une partie de la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Elle a été condamnée – aux temps de Ben Alis encore – à cinq ans de prison pour usage de la violence contre un citoyen. Uniquement après la révolution, elle a obtenu une assistance juridique, grâce à laquelle elle a pu récupérer sa liberté [1].

Dans tous les pays du printemps arabe, les femmes étaient arrêtées, intimidées, sexuellement harcelées, violées et tuées avant et pendant les manifestations. Néanmoins, des militantes sont allées dans la rue et ont manifesté - que ce soit en Tunisie, en Egypte, au Yémen, en Libye, en Syrie ou au Bahreïn. Elles ont également pris des rôles de leader dans la rébellion et ont d'abord bénéficié dans ce sens de "l'état général d'urgence".

Le soulèvement des femmes

En particulier en Tunisie, les femmes participaient massivement aux manifestations. Depuis la chute de l'ancien régime, elles luttent pour leur implication dans le processus de transition politique et s'opposent avec succès aux tentatives de restauration de l’ancien régime.

En Egypte, les femmes ont participé aux manifestations dans une proportion jusqu'alors inaccoutumée. En décembre 2010, l'armée a eu recours à une violence massive contre une manifestation pacifique, 17 personnes ont été tuées. Quelques jours plus tard, près de dix mille femmes se sont rassemblées au Caire pour protester contre la violence, des femmes d'Alexandrie se sont jointes. C'est la blogueuse de 26 ans Asmaa Mahfouz qui a lancé des pétitions en ligne au début de 2011 et qui a appelé les hommes et les femmes de l'Égypte à participer aux manifestations le 25 janvier 2011 à la Place Tahrir.  

En Libye, des mères, des sœurs et des veuves des hommes, qui ont été tués en 1996 dans la prison d'Abu Salim à Tripoli, se sont rassemblées le 15 février 2011 devant le tribunal de Benghazi. Dans la prison de haute sécurité, où se trouvaient de nombreux prisonniers politiques, un massacre avait eu lieu en juin 1996; D'après les estimations, 1200 parmi plus de 1600 prisonniers ont trouvé la mort [2]. Les manifestantes ont demandé l'explication du massacre et ont dénoncé la corruption du régime. Et il y avait surtout des femmes libyennes, qui ont parlé de la résistance et ont ainsi contribué à l’expansion de la résistance. Elles faisaient la contrebande d'armes et approvisionnaient les blessés et leurs familles. Le 1er septembre 2011, dix mille femmes se sont rassemblées à Tripoli pour célébrer la fin du régime de Kadhafi [3].

En Syrie, les femmes font partie des voix les plus importantes de la rébellion et sont également massivement touchées par la guerre civile sanglante : La défenderesse des droits de l'homme Razan Zeitouneh vivait depuis le début de la révolution en cachette et écrivait sans cesse sur leur travail et sur la situation sur le terrain. Son journal intime syrien apparaissait chaque semaine dans l'hebdomadaire «Die Zeit». Au début du mois de décembre, elle a été kidnappée en Syrie conjointement avec son mari et deux autres militantes. La blogueuse Razan Ghazzawi, une collaboratrice du Centre pour les Médias et la Liberté d'Expression, fermé par le régime syrien, est connue pour ses représentations intelligentes de la révolution. Elle déménageait dans les régions libérées pour travailler avec des enfants traumatisés ; Elle publie ses expériences sur le portail vidéo YouTube.

RIMA Dali, quant à elle, est devenue célèbre avec la campagne «Stop the Killing» (Arrêtez le massacre). Au début de la révolution, elle s'était postée devant le Parlement syrien, sur une affiche, elle demandait la fin des meurtres et a passé pour cela quelques jours en prison. Masquées dans des robes de mariées, Dali et plusieurs co-militantes avaient traversé le bazar de Damas en novembre 2012. Pendant cette marche, elles ont appelé toutes les parties en conflit à cesser les combats: "Nous sommes fatiguées. Vous l'êtes également. Nous avons besoin d'une autre solution". Dali a été emprisonnée de nouveau. Elle n'a été remise en liberté qu'après plusieurs mois dans le cadre d'un échange de prisonniers.

Même si actuellement la brutalité des groupes salafistes intimide beaucoup de gens, les manifestations se poursuivent – comme par exemple à Raqqa dans l'est de la Syrie. Dans la seule capitale provinciale, que le régime devait abandonner, les groupes salafistes ont accédé au pouvoir après une courte apogée d'engagements de la société civile. L'enseignante Souad Nofal manifestait pendant deux mois - chaque jour et toute seule devant le quartier général de l'organisation «État Islamique en Iraq et au Levant» qui est proche d'al-Qaida. Entretemps, Nofal a arrêté son activité parce qu'elle était fortement menacée par les Salafistes.

La lutte pour la justice

Ces exemples montrent que les femmes au printemps arabe ne sont jamais sorties dans la rue exclusivement pour leurs propres droits. Elles faisaient et font encore partie intégrante d'un agenda plus vaste de plus de justice sociale, de démocratie et de droits de l'homme.

En fait, les révolutions dans la plupart des pays avaient une origine sociale. Cependant, en plus des droits sociaux, l'appel aux droits politiques est devenu également de plus en plus exigé - en particulier quand la police et l'armée ont commencé à agir avec violence brutale contre les manifestants.

Une des raisons des exigences sociales était la pauvreté croissante. Elle était terriblement élevée préalablement au printemps arabe, et ce malgré les taux de croissance modérés et parfois élevés des économies arabes ces dernières années. Toutefois, cette croissance a conduit à peine à une redistribution, ce qui est aussi prouvé par les Rapports sur le développement humain arabe du Programme de développement des Nations Unies (PNUD) de 2002-2009. «On n'a pas réussi dans la plupart des pays [...] à supprimer l'inégalité sociale et à accélérer le développement humain de manière décisive» [4]. Le taux bas d'alphabétisation et un faible niveau de formation témoignent également de l'inégalité sociale. Ici, les différences entre les sexes sont particulièrement importantes. Dans l'indice d'inégalité entre les sexes de l'année 2012, sur lequel se base le rapport sur le développement humain de 2013, des pays comme l'Égypte (126), la Syrie (118), l'Irak (120) et l'Arabie saoudite (145) occupent les dernières places. Seules la Tunisie et la Libye sont mieux classées avec les positions 46 et 36 (actuellement encore).

Le mécontentement massif des gens dans les pays du printemps arabe s'adressait aussi contre la corruption quotidienne, la violence et l'arbitraire. Également ici, la région est mal placée en comparaison avec d'autres pays. Tous les pays concernés sont des systèmes autocratiques. Des élections truquées et falsifiées étaient à l'ordre du jour. L'arbitraire, la corruption et le népotisme dominent un peu partout. Il n'y avait - et il n'y a toujours - pas d'Etat de droit, pas de liberté de presse et à peine de liberté de réunion.

Les problèmes sociaux sont aggravés par le fait que la majorité des sociétés de la région est extrêmement jeune. Ainsi, le taux des personnes âgées de moins de 35 ans en Tunisie, au Qatar et au Bahreïn s'élève à environ 60 %. Les jeunes sont particulièrement touchés par le chômage. De ce fait, près de la moitié des jeunes âgés entre 20 à 24 ans est au chômage en Égypte [5]. La frustration du système politique sclérosé est particulièrement élevée chez eux.

Différences du mouvement féministe

Malgré la dominance de l'injustice, le mouvement féministe n'est en aucun cas uni dans tous les aspects de leur lutte politique [6]. On peut remarquer des différences surtout entre les générations et entre les militantes laïques et religieuses.

Les manifestations ont été fortement menées par de jeunes femmes de différentes couches sociales; celles-ci ont remis en question la position de la génération plus âgée afin de s'ouvrir et de se consacrer à de nouvelles questions. Les militantes les plus vielles – la plupart du temps riches, bien formées et d'orientation laïque – se plaignaient à leur tour de l'ambiguïté pragmatique des plus jeunes. Déjà avant le printemps arabe, la génération plus âgée de militantes était tout à fait politisée grâce aux conférences mondiales de l'ONU sur les femmes et les processus des Nations Unies - tels que la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW)-, mais cette génération disposait aussi d'un bon réseau aux niveaux régional et international. Son travail était soutenu dans beaucoup de pays arabes laïques par des organisations féministes étatiques ainsi que par des organisations non gouvernementales modérées. Ainsi, certaines femmes ont conquis en tant que «Féministes d'État» des petits espaces libres pour un peu plus de droits des femmes dans les régimes laïques et autoritaires comme en l'Egypte.

En même temps, il y avait toujours le danger de les instrumentaliser par les gouvernements comme une figure de proue et de les estimer comme la seule alternative aux Frères Musulmans qui voudraient piétiner les droits des femmes. Le féminisme laïque d'État était donc également un moyen efficace pour les régimes autoritaires dans la lutte contre l'Islam politique. Un exemple connu est le Conseil National de la Femme en Egypte, qui était présidé à l'époque de Moubarak par Suzanne Moubarak. De cette façon, les intérêts des femmes ont été cooptés avec succès et aussi mondialement soutenus. Les femmes plus jeunes prennent maintenant leurs distances par rapport à cette compréhension et cette instrumentalisation. Malgré ces différences, il y a une union entre les générations, qui consiste à promouvoir la participation politique et à s'opposer à un refoulement politique, qui est forcé actuellement dans de nombreux pays du printemps arabe par des forces conservatrices dans le cadre de processus constitutionnels et d'autres changements de lois comme par exemple dans le domaine du droit de la famille.  

Cependant, les disparités entre femmes laïques et femmes religieuses sont encore beaucoup plus profondes dans des pays tels que l'Egypte, la Tunisie, la Palestine, la Syrie et le Liban, où la méfiance mutuelle est profonde. Il ne peut arriver - si tel est le cas - que des collaborations ponctuelles. Ainsi, les Sœurs Musulmanes comme sous-organisation féminine des Frères Musulmans en Egypte ont une contribution significative à la réussite politique de l'organisation par le biais de leurs efforts inlassables pour la charité et l'éducation. Un grand nombre des «sœurs» sont qualifiées professionnellement et actives politiquement, mais elles n'adoptent aucune approche féministe. Au lieu de cela, elles propagent «une répartition complémentaire des rôles» avec des missions équivalentes, mais différentes du point de vue naturel’ pour femmes et hommes et la primauté de l'homme dans la famille comme un élément constitutif de l'«ordre divin». Les concepts féministes libéraux sont dénoncés pour être «occidentaux» et rejetés pour être individualistes et destructeurs pour la famille. [7] 
L'Islam politique comme un facteur de pouvoir

L'Islam n'a jamais été homogène et a de très différentes interprétations et perspectives à propos de la situation des femmes dans la société par pays et par Ecole de pensée théologique. Le rôle que doit jouer l'Islam dans la société, dans la Constitution, dans la juridiction des nouveaux systèmes politiques constitue un différend essentiel entre les partis politiques et les organisations de la société civile et bien entendu aussi entre les diverses organisations féminines.

Par conséquent, leurs attitudes envers les droits des femmes peuvent varier selon que le Coran, de leur point de vue, n'est pas ou Il est la ou une source de droit. A titre d'exemple, l'Organisation des Frères Musulmans en Egypte appuyait le droit des femmes à exercer une activité professionnelle, tandis que le parti salafiste Al-Nour le rejette [8]. Parfois, les fronts habituels s'opposent : en Tunisie par exemple, le parti islamiste Ennahda n'avait rien contre le quota féminin, alors que les partis de droite laïques cherchent à bloquer le quota.

Spécialement en Tunisie où les droits des femmes sont étendus depuis l'indépendance du pays, les enjeux dans le processus de la transition politique sont considérables. Ici, la polygamie est interdite déjà depuis longtemps et l'avortement est légalisé depuis 1965. Pour obtenir ces libertés, des militantes en Tunisie luttaient très durement pour la nouvelle Constitution. Si, dans un premier projet de la Constitution, la femme était encore „classée à côté“ de l'homme, ce passage est supprimé entretemps aussi grâce à la pression inlassable de la société civile, et avant tout des organisations de droits de la femme. L'Assemblée nationale tunisienne a adopté au début de janvier un article constitutionnel pour l'égalité homme-femme par 159 voix sur 169 votants [9]. L'étendue de l'égalité est plus grande ici que n'importe où ailleurs dans le monde arabe.

Toutefois, le rôle que doit jouer l'Islam dans la société, dans la Constitution, dans la juridiction des nouveaux systèmes politiques ne constitue pas seulement un différend essentiel entre les partis politiques et les organisations de la société civile, mais aussi entre les diverses organisations féminines elles-mêmes.

De nombreuses militantes musulmanes pour les droits des femmes ont donc commencé à contester les interprétations traditionnelles du Coran et des traditions islamiques. Elles soulignent, entre autres, que l'égalité homme-femme est en conformité avec l'Islam. De cette façon, elles n'élargissent pas seulement le cadre d'action social et juridique des femmes, mais aussi elles remettent en question le pouvoir de définition du patriarche masculin.

En revanche, d'autres soulignent la différence naturelle des sexes, donnée par Dieu, et de leur complémentarité [10]. Mais, c'est justement cette complémentarité qui s'oppose à une égalité des droits et à une égalité de traitement et est ainsi aussi un point central de la polémique – également et en particulier dans le débat sur la Constitution tunisienne.

La lutte contre la violence sexualisée

L'un des plus grands défis dans la région reste la violence sexualisée contre les femmes et les filles, mais aussi contre les garçons et les hommes. Ce n'est pas un nouveau phénomène. Mais dans les conditions de bouleversement, cette violence a pris de nouvelles dimensions. La violence sexualisée comme une arme dans des situations de bouleversement politique est un problème mondial, les pays arabes en transition ne font pas exception ici. Cependant, les femmes et les enfants souffrent ici surtout de l'insécurité et de la violence - domestique comme militaire. La violence sexualisée s'étend des soi-disant tests de virginité aux viols. Il n'y a pas et il ne peut pas y avoir de chiffres fiables : de nombreux actes de violence ne sont pas déclarés ou ne peuvent pas être rapportés, parce que la victime ne survit pas à l'agression.

Et les réfugiés aussi sont exposés à une énorme violence physique et psychologique. Depuis le début de la guerre civile en Syrie, quelque 2,3 millions de personnes ont fui vers les pays voisins. Dans le pays, approximativement 4,25 millions de personnes sont en fuite [11]. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme, il y a quelque 4 000 viols. En outre, des filles dans les camps de réfugiés, âgées de douze ans et moins, sont régulièrement amenées au mariage. Dans son rapport d'août 2013, la Commission d'enquête indépendante des Nations Unies constate que la violence sexualisée joue un rôle important dans le conflit syrien. On suppose que les chiffres non connus sont élevés [12].  Par ailleurs, l'effondrement de l'économie et des soins de santé touche fortement les femmes dans des proportions supérieures.

En Libye aussi, les femmes étaient et sont victimes d'agressions pendant les affrontements militaires. Selon la Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH) qui a effectué des interviews avec des Libyennes en juillet 2011 conjointement avec l'Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD), de nombreuses femmes ont choisi de fuir en Tunisie par crainte du viol par les forces du régime [13].

Mais le danger menaçant les femmes ne provient pas seulement des combattants armés, mais aussi de la propre famille. Parce que le viol et les violences sexualisées en temps de guerre dans de nombreux pays des révolutions arabes font l'objet d'un tabou social, il y a eu - dans certains cas particulièrement brutaux - même le meurtre de femmes par des membres masculins de leur famille. Ceux-ci ont commis ces actes afin de préserver l'honneur de la famille - parfois même à titre préventif. Ainsi, un garçon tuait sa sœur pendant les troubles de la guerre en Libye pour la protéger du viol par les forces avancées de Kadhafi. A cause du tabou social, les personnes touchées par la violence sexualisée n'obtiennent le plus souvent aucun soutien. A la mi-février 2011, des femmes à Tripoli se réunissaient à une manifestation silencieuse pour protester contre les dysfonctionnements. Elles ont exigé le soutien aux victimes et la poursuite pénale des malfaiteurs. Depuis lors, peu de choses ont été faites. Depuis des mois, le Parlement revoie aux calendres grecques une loi promettant un soutien financier aux personnes touchées [15].

La violence sexualisée contre les femmes est également un problème majeur en Egypte. Lors des manifestations précédant et suivant la chute du régime Moubarak, des manifestantes ont été encore et toujours sexuellement harcelées. Les femmes, qui ont été arrêtées, ont été ensuite entre autres forcées à se déshabiller et à subir des «tests de virginité», lesquels ont été effectués par des hommes. Human Rights Watch informe que, lors de manifestations contre Mursi fin juin 2013, 91 femmes ont été violées ou sexuellement harcelées sur la place Tahrir en quatre jours seulement [16].

Mais il y a aussi la résistance : Des Egyptiennes et Egyptiens se sont associés déjà en 2010 pour l'initiative HarassMap pour lutter contre la violence sexualisée et sa tolérance de la part de la société. HarassMap témoigne des agressions et effectue un travail d'information et de sensibilisation dans des communautés pour ainsi promouvoir la lutte contre la violence sexualisée [17].

Participation politique des femmes

À long terme, cette résistance ne réussira néanmoins que si les femmes arrivent à des positions de pouvoir sociales et politiques. En fait, le printemps arabe comporte la chance d'accroître la participation des femmes - précisément parce qu'il est le fruit de l'espoir de démocratisation et de libéralisation politique. Mais jusqu'à présent, les réalisations varient fortement d'un pays à l'autre.

A l'approche des premières élections libres en octobre 2011 en Tunisie pour former le gouvernement de transition et l'Assemblée constituante, les femmes ont participé comme électrices, candidates et observatrices. Pour la première fois, les listes électorales devraient être remplies de façon paritaire. Cette règle n'était certes pas toujours respectée. En plus, les femmes étaient le plus souvent représentées sur des places en bas de la liste. Cependant, cette disposition réglementaire a contribué au fait que plus de 27 pourcent des députés de l'Assemblée constituante sont des femmes. (La plupart d'entre eux appartiennent au parti islamiste Ennahda). [18] 

Les femmes en Libye peuvent enregistrer des succès similaires, bien que ce ne soit pas dans les mêmes proportions qu'en Tunisie. Des structures patriarcales et tribales et des valeurs conservatrices empêchaient largement à l'époque du régime de Kadhafi l'accès des femmes à la vie publique et politique. Toutefois, beaucoup de femmes participaient à la chute du régime Kadhafi; elles luttaient pour être représentées dans les nouvelles institutions politiques.

Quand le Congrès national a été nouvellement élu en 2012, des groupes féminins luttaient avec véhémence pour une cotation des listes électorales. En fin de compte, la loi électorale prévoit maintenant un équilibre entre les sexes : Selon cette loi, tous les partis sont tenus d'occuper leurs listes électorales alternativement avec des candidats masculins et féminins. À la fin, 600 femmes étaient candidates à l'élection; En outre, 45 % des électeurs inscrits étaient des femmes. L'engagement d'innombrables femmes a porté ses fruits : 33 des 200 sièges du Congrès national vont aux femmes, soit 16,5 % [19].

L'image en Egypte est tout à fait différente. Les femmes avaient participé activement aux protestations et se sont opposées comme partie de la «rue» au régime Moubarak. Néanmoins, elles ont été largement exclues du processus de la transition politique. Aucune femme n'était représentée au Conseil constitué pour la révision de la Constitution, lequel a été révoqué en 2011 après le coup d'Etat. En outre, un quota pour les femmes sur les listes électorales n'était également pas appliqué.

Quand un nouveau parlement a été élu à la fin de l'année 2012 en Egypte, des partis islamistes ont obtenu 70,4 pourcent des voix. Le parti des Frères Musulmans est devenu la force la plus forte du pays. Elle a reçu conjointement avec ses alliés presque 46 pourcent des voix. Le parti radical islamiste Al-Nur a occupé la deuxième place. Celui-ci a remporté environ 25 pourcent des sièges conjointement avec d'autres petits partis du camp des Salafistes radicaux islamistes [20] – également avec les voix de millions de femmes. La proportion des femmes au parlement a même diminué avec le changement du pouvoir :

35 femmes seulement – cela ne représente que neuf pourcent des députés – avaient été élu au parlement égyptien. Sous Moubarak, le chiffre était de 12 pourcent. Toutefois, l'ancien président Mursi a dissous à nouveau le parlement en juin 2013. Après sa chute, „le Comité des 50“ a procédé à la réalisation d'un nouveau projet de Constitution. Sont membres de ce comité des représentants du gouvernement et des personnalités de la vie publique, y compris aussi un petit nombre de femmes. En janvier, la population égyptienne a approuvé ce projet à une large majorité [21]. D'après ce projet, la nouvelle Constitution assure l'égalité homme-femme dans tous les domaines. Pourtant, il ne prévoit aucun quota parlementaire pour les femmes [22].

En Syrie, pour sa part, les processus politiques étaient largement en jachère à cause de la guerre civile. Cependant, on travaille derrière les coulisses et par différentes forces sur la création de nouvelles institutions politiques. Des femmes sont représentées dans l'alliance d'opposition comme le Conseil national syrien. Dont aussi Suheir Atassi et Basma Kodmani. Suheir Atassi était la première femme à conduire une réunion de la Ligue Arabe en mars 2013, après que le siège de la Syrie est passé à la coalition nationale syrienne, l'alliance d'opposition qui s'est fondée à la fin de 2012 et dans laquelle le Conseil national syrien est également représenté. Basma Kodmani était toutefois jusqu'en août une porte-parole du Conseil national syrien. Elle a démissionné parce qu'elle reprochait à l'organisation la perte de crédibilité. Atasi et Kodmani sont deux exemples éminents sur la participation des femmes à la politique syrienne; néanmoins, les comités demeurent dominés par les hommes. Si les négociations internationales de paix à Genève devraient réussir, les femmes aussi doivent – tout à fait au sens de la résolution 1325 des Nations Unies – s'asseoir à la table des négociations et prendre part à la discussion sur leur rôle dans la société syrienne future. La résolution prévoit d'associer des femmes aussi sur pied d'égalité aux négociations de paix.

Une chose est sûre : Dans tous les pays du printemps arabe, la position sociale de la femme est toujours disputée. Des forces islamiques avancent partout en vue d'amputer les droits des femmes ou afin de les empêcher de les obtenir. Parfois, des mouvements féministes forts avaient la capacité de stopper avec succès les attaques de forces conservatrices et de tirer profit des processus du bouleversement pour améliorer leur situation. Afin que ces succès soient durables, les femmes doivent toutefois accomplir encore beaucoup de travail de persuasion sur le terrain– aussi bien chez les hommes que chez les femmes dans le monde arabe.

*  Je remercie Claudia Rolf pour la coopération à l'article.

Interview du 24 juillet 2014, avec Mme Fouzia Assouli Presidente de la Federation de la Ligue Democratique des Droits des Femmes

Interview le 03 septembre 2014 avec une jeune féministe ayant participé au mouvement du 20 Février

Drei Jahre Arabellion: Der Frühling der Frauen?

http://www.medias24.com/NATION/POLITIQUE/152953-Le-Mouvement-du-20-fevrier-fait-son-autocritique.html

Notes de bas de page :

[1] Cf. (J). Michael Totten, The Woman Who Blew Up the Arab World (La femme qui a fait exploser le monde arabe), sous: „World Affairs Journal“, 17/05/2012, www.worldaffairsjournal.org.

[2] Human Rights Watch, Libye : juin 1996, Killings at Abu Salim Prison (Meurtres en prison d'Abu Salim), 27/06/2006.

[3] Cf. FIDH, Women and the Arab Spring: Taking their Place? (Les femmes et le printemps arabe : prenant leur place?), Paris 2012, p. 27.

[4] Muriel Asseburg, Der Arabische Frühling. Herausforderung und Chance für die deutsche und europäische Politik (Le printemps arabe. Défi et chance pour la politique allemande et européenne), étude de SWP, juillet 2011, p. 10.

[5] Cf. Asseburg, à l'endroit indiqué, p. 9 sq.   

[6] Les frictions ethniques sont certainement aussi un facteur important à propos duquel il n'y a cependant jusqu'ici que peu d'analyses différenciées sexospécifiques.

[7] Renate Kreile, Empowerment und Ausschluss – Islamistische Frauen und die Politik der Frömmigkeit in Ägypten (Empowerment et exclusion - Femmes islamistes et la politique de la piété en Egypte), sous: «iz3W», 4/2013, www.iz3w.org.

[8] Cf. Care International, Arab Spring oder Arab Autumn? Women‘s political participation in the uprisings and beyond: Implications for international donor policy (Printemps arabe ou automne arabe? Participation politique des femmes aux soulèvements et au-delà : implications pour la politique internationale des donateurs), Genève 2013.

[9] Deutsche Welle, Tunesien schreibt Gleichberechtigung fest (La Tunisie met l'égalité homme-femme par écrit), 06/01/2014.

[10] Cf. Kreile 2006, à l'endroit indiqué.

[11] 2 Cf. UNHCR, UNHCR continues to reach toughest areas of Syria, races to provide winter aid (UNHCR continue d'atteindre les zones les plus troublées de la Syrie, court pour accorder l'aide de l'hiver), 22/10/2013, ainsi que UNHCR, Syrien-Krise: Größter UN-Spendenaufruf aller Zeiten (La crise de la Syrie : L'appel aux dons de l'ONU le plus grand de tous les temps),16/12/2013.  

[12] L'Organisation Women under Siege travaille sur la documentation de la violence sexualisée en Syrie et a créé un Crowdmap, par le biais duquel même des cas de violences sexualisées peuvent être signalés, www.womenundersiegesyria.crowdmap.com.

[13] Cf. FIDH 2012, à l'endroit indiqué, p. 27.

[14] Ibid.

[15] Cf. Christina Hering, Libyen steht vor neuen Herausforderungen (La Libye confrontée à de nouveaux défis), sous : Amica-Beilage zur taz, 11/12/2013.

[16] Human Rights Watch, Egypt: Epidemic of Sexual Violence (Egypte : épidémie de la violence sexuelle), www.hrw.org, 03/07/2013 ; cf. aussi : Fast 100 sexuelle Übergriffe am Tahrir-Platz (Près d'une centaine d'agressions sexuelles sur la Place Tahrir), www.zeit.de, 03/07/2013.

[17] Cf. HarassMap, www. www.harassmap.org/en.

[18] Cf. UNICEF 2011 : Tunisia – MENA Gender Equality Profile (Tunisie - Profil des pays de la région du MENA en matière d'égalité entre les sexes),

www.unicef.org/gender/files/Tunisia-Gender-Eqaulity-Profile-2011.pdf.

[19] Human Rights Watch, A Revolution for All: Women’s Rights in the New Libya (Une révolution pour tous : Droits des femmes en Libye nouvelle), 2013, pp. 12 et 16, www.hrw.org.

[20] Islamisten gewinnen Wahlen in Ägypten (Islamistes remportent les élections en Egypte), www.zeit.de, 21/01/2012.

[21] Cf. 98 Prozent für die neue Verfassung (98 pourcent pour la nouvelle Constitution), www.tagesschau.de, 19/01/2014.

[22] Cf. Ägypten erhält neue Verfassung (L'Égypte obtient la nouvelle Constitution), www.tagesschau.de, 30/11/2013.

Remarque : Cet article est apparu pour la première fois dans le magazine allemand Blätter für deutsche und internationale Politik, édition 2/2014, pp. 81-89.