L’inclusion des migrant.e.s mineur.e.s dans le système scolaire marocain – La longue marche vers l’application du droit à l’éducation

Le Maroc a été longtemps considéré plutôt comme un pays d’émigration qu’un pays d’immigration. Néanmoins, depuis les années 2000, le pays accueille de plus en plus de migrant.e.s, provenant notamment des pays subsahariens.

Kids in a classroom

Durant les campagnes de régularisation de 2014 et 2017 environ 50.000 migrant.e.s irrégulièr.e.s ont été régularisé.e.s.[1] Un grand nombre de migrant.e.s en situation irrégulière, estimé à des dizaines de milliers de personnes, se trouve encore au Maroc.[2]

Il reste cependant difficile d’obtenir des chiffres représentatifs, particulièrement pour les migrant.e.s mineur.e.s. Dounia Mseffer, membre du Réseau marocain des journalistes des migrations, explique qu’ « il est difficile de faire une analyse générale (de la migration au Maroc) parce qu’il n’y a pas de chiffres. L’OIM parle de dix pourcent de migrant.e.s en situation irrégulière au Maroc qui seraient mineur.e.s. ». Pour pouvoir parler des phénomènes de migration, il est indispensable de définir au préalable le type de migration ainsi que le type de migrant.e.s qu’on entend évoquer. Dans cet article, nous nous intéresserons aux migrant.e.s mineur.e.s en situation régulière ou pas, qui proviennent des pays subsahariens.[3] Il s’agit souvent d’enfants non accompagnés[4] et d’enfants séparés[5], mais aussi de migrant.e.s mineur.e.s accompagné.e.s par leurs familles. Ces mineur.e.s, plus particulièrement les filles, qui « courent le risque de faire l’objet d’exploitation sexuelle », comme le fait remarquer Said Tbel (membre d’AMDH[6]), sont très vulnérables. Pour cette raison, les personnes migrantes mineures profitent d’une protection spécifique accordée par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (dite Convention de Genève). Au Maroc, État contractant de celle-ci, le gouvernement a inséré quelques extraits de cette convention dans la loi 02-03 relative à l'entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l'émigration et l'immigration irrégulières. Cette loi de 2003 prévoit par exemple que l’étranger mineur ne peut pas faire objet d’une décision d’expulsion.[7]

La Convention de Genève garantit « aux réfugiés le même traitement qu’aux nationaux en ce qui concerne l’enseignement primaire. »[8]. Dans un article, paru dans le courrier de l’UNESCO en 2018, le professeur Fons Coomans, titulaire de la Chaire UNESCO des droits de l’homme et de la paix au Département de droit européen et international à l’Université de Maastricht, va encore plus loin et explique que même les « migrants en situation irrégulière ou sans-papiers peuvent (…) invoquer le droit à l'éducation. »[9]

Ainsi, d’un point de vue juridique, au Maroc, les mineurs bénéficient d’une protection spécifique, mais entre ces textes de loi et la pratique au quotidien persiste un écart important. Dounia Mseffer a observé, au cours de sa recherche sur le terrain, qu’ « (…)en pratique, les migrant.e.s mineur.e.s n’ont pas de possibilité d’accéder aux institutions d’éducation, même si selon la loi ils en ont le droit (…). »

Ces observations nous conduisent à nous interroger sur les raisons de l’existence de cet écart ainsi que sur les formes que prend cet écart entre législation et pratique, en ce qui concerne le statut des migrant.e.s mineur.e.s au Maroc, tout particulièrement leur accès à l’éducation.

Pour pouvoir répondre à cette problématique, l’analyse de la trajectoire bureaucratique des migrant.e.s mineur.e.s qui veulent intégrer le système d’éducation marocain s’impose, tout comme de leurs histoires individuelles et de leurs conditions de vie. L’accès à l’éducation est un droit universel pour les mineur.e.s. L’éducation scolaire est fondamentale pour intégrer un enfant dans une société, aussi bien dans son pays d’origine qu’à l’étranger.

Le combat pour accéder à ce droit fondamental commence bien plus tôt que ce que l’on pense, notamment pour les enfants de migrant.e.s né.e.s au Maroc. Selon la loi marocaine, les parents ou le tuteur de l’élève concerné doivent présenter une « copie d’acte de naissance ou copie équivalente de l’état civil ou tout autre document administratif identifiant le nom de l’élève et son âge, délivré par les autorités concernées »[10] pour pouvoir inscrire leur fils ou leur fille à l’école.

Cela pose un premier obstacle pour beaucoup de familles de migrant.e.s subsaharien.e.s. Le déroulement de la naissance de l’enfant et les jours qui s’en suivent jouent déjà un rôle déterminant pour l’avenir de l’enfant.

L’avis de naissance[11] et donc l’enregistrement au registre marocain sont la première étape à franchir pour la revendication des droits fondamentaux de l’enfant. Même si l’accouchement est gratuit dans les hôpitaux publics au Maroc[12], les mères subsahariennes risquent de n’être pas acceptées dans les hôpitaux par ignorance, de la part du personnel hospitalier, des lois mises en place. Au-delà du risque que cette réaction pose à l’intégrité physique de la mère et de l’enfant, elle peut de plus compliquer l’obtention de l’avis de naissance. Si la mère accouche en dehors de l’hôpital elle doit alors demander un certificat administratif de naissance à l’administration locale, après avoir fréquenté une structure de santé.

Après avoir reçu l’avis de naissance, les parents peuvent finalement inscrire leur enfant à l’état civil. Comme pour l’obtention de l’avis de naissance, les parents doivent suivre des démarches bureaucratiques assez complexes et présenter une série de documents aux fonctionnaires de l’administration locale. Certes ces procédures sont réglées par la loi, mais l’application des celles-ci ne sont pas toujours garanties. La journaliste Ghita Zine, auteure d’un chapitre du livre « Migrations au Maroc : l’impasse ? », décrit la situation de la façon suivante : « Les circulaires ne sont pas toujours appliquées, cela a une grande influence sur la vie des migrant.e.s mineur.e.s. S’ils n’ont pas d’avis de naissance ils ne pourront pas être inscrits à l’état civil. En conséquence ils ne seront pas scolarisés et de ce fait ghettoïsés. Cela peut mener à une création d’une société parallèle, des sociétés dont l’administration ne reconnait pas l’existence. »

De nombreux militants marocains pour les droits humains comparent la situation des migrant.e.s qui demandent à bénéficier des services sociaux de base, à celle des marocains eux-mêmes, qui doivent affronter des problèmes pour ce qui est de la bureaucratie administrative, quotidiennement. Toutefois, il est nécessaire de différencier le cas des migrant.e.s subsaherien.ne.s de celui des marocain.e.s. « S’il est difficile pour une famille marocaine issue d’un quartier populaire d’accéder à un service social de base, il l’est pratiquement impossible pour une famille de migrants subsahariens. », explique Ghita Zine. On peut donc observer une hiérarchisation relative à la revendication de services sociaux fondamentaux.

D’un point de vue juridique et bureaucratique, la situation pour les migrant.e.s mineur.e.s non accompagné.e.s est encore moins évidente que pour les migrant.e.s mineur.e.s accompagné.e.s par leurs familles. « La plus grande part des migrant.e.s mineur.e.s non accompagné.e.s au Maroc ne dispose pas de statut légal. Sans le soutien d’une association ou des institutions comme Caritas il est impossible pour eux de s’inscrire à une école marocaine. », explique Patrick Kit Bogmis, président de « l’Association lumière sur l’émigration clandestine au Maghreb » (ALECMA). Ce sont donc les associations de migrants et des associations de la société civile marocaine ou européenne, qui comblent le vide laissé par l’Etat marocain dans ce domaine.

Mais ce sont bel et bien des destins d’êtres humains qui se cachent derrière ces questions de droit administratif et de bureaucratie. Bien entendu, le sort des migrant.e.s est fortement encadré par les lois migratoires, néanmoins on doit prendre en compte les facteurs sociaux comme par exemple les barrières linguistiques ou le besoin de domicile fixe qui ont un impact important sur le processus d’inclusion dans la société d’acceuil d’une personne migrante.

Une fois que l’enfant issu d’une famille d’immigrés subsahariens a passé toutes les démarches administratives et a été donc inscrit dans une école marocaine, ils subsistent des barrières sociales à affronter.

« Les deux difficultés principales auxquelles doivent faire face les élèves subsahariens sont la barrière de la langue et les discriminations racistes. », nous confis le directeur d’ALECMA. Les parents des élèves viennent se plaindre auprès de lui parce que leurs enfants souffrent des actes discriminatoires d’enseignants et de leurs condisciples : « Les élèves de peau noire qui proviennent des pays subsahariens sont souvent mis au dernier banc de la salle de classe. », explique Patrick Kit Bogmis.

Il est important de clarifier qu’on ne peut parler d’un racisme institutionalisé. Ces comportements ne sont pas autorisés par la loi marocaine. Les barrières linguistiques sont aussi un facteur à considérer. Les élèves subsahariens sont souvent seulement francophones, mais la plupart des cours dans les écoles publiques du Maroc est tenue en arabe classique. Cela permet, par exemple, aux enfants syriens de s’intégrer plus facilement dans le système scolaire marocain.

Un autre aspect, qui peut être un défi pour l’inclusion dans le système scolaire marocain pour les migrant.e.s mineur.e.s subsaharien.e.s, sont les cours de religion musulmane. Une partie importante des élèves subsahariens est chrétienne, ils ne s’y retrouvent pas dans ces cours obligatoires et se sentent exclus, d’après plusieurs militants pour les droits des migrant.e.s.

Les migrant.e.s mineur.e.s non acompagné.e.s (MMNA), souvent non-régularisé.e.s et donc extrêmement vulnérables, ont très peu de chances de s’inscrire dans le système scolaire marocain, même si cela est leur droit, comme je l’ai évoqué dans l’introduction. La majorité d’entre eux vit dans des conditions très précaires, ils vivent souvent dans la rue. La plupart du temps, ils sont déscolarisés très tôt dans leurs pays de provenance et ont donc des difficultés à parler en français. Ces mineur.e.s n’ont simplement pas les moyens d’accéder à une école marocaine publique. Dans quelques cas, plutôt exceptionnels, des associations de la société civile peuvent leur donner la possibilité de suivre des cours préparatoires. Dans un entretien avec un migrant, devenu majeur quelques années après son arrivée au Maroc, celui-ci a expliqué que les cours ne sont pas toujours suffisants et qu’on préfère proposer aux migrant.e.s des formations professionnelles au lieu de les inscrire dans les écoles.

Nombre de militants pour les droits des migrant.e.s dénoncent l’impossibilité d’insérer les MMNA dans le système scolaire, sans que leurs besoins primaires, un domicile fixe et une alimentation suffisante, soient garantis. Pour ce qui concerne le logement, il n’existe pas de cadre juridique ou une garantie aux migrant.e.s, même avec un statut de réfugié de l’UNCHR, d’avoir accès à celui-ci au Maroc. Nombre de ces jeunes migrant.e.s, mineur.e.s ou majeur.e.s, vivent dans des appartements surpeuplés et paient des loyers exorbitants. Dans cette lutte pour la survie, après des trajectoires très compliquées, une enfance normale et la fréquentation d’un établissement scolaire n’y trouvent pas de place.

Après avoir dénoncé les différentes entraves de nature bureaucratique et sociale, il est nécessaire de mentionner qu’il existe des points de vue et des approches très différents, voire divergents pour affronter le sujet. Ce sujet reste très complexe, à cause du manque d’un cadre juridique clair et surtout du manque d’une application conséquente de celui-ci, il n’est pas évident d’analyser le sujet d’une manière générale. Il existe néanmoins des propositions contribuant à faciliter l’accès à l’éducation pour les migrant.e.s mineur.e.s au Maroc. Selon la journaliste Ghita Zine « il faudrait mettre en place une approche psychosociale, un soutien psychologique par des éducateurs formés et des psychologues. Cette approche permet aux enfants de travailler sur eux-mêmes. Cela a déjà été mis en place pour des enfants marocains en situation difficile. » Il reste à voir, si ces propositions sont entendues par les institutions gouvernementales ou pas et à quelle échelle elles sont réalisables.


[3] Le terme « subsaharien » sera utilisé dans l’article pour simplifier les choses, en pleine conscience qu’il n’existe pas de nation subsaharienne.

[4] L’enfant non accompagné est celui qui est séparé de ses deux parents, non pris en charge par un adulte qui selon la loi ou la coutume, est responsable de le faire. (OIM rapport 2019, p 14).

[5] L’enfant séparé est celui qui est séparé des se deux parents ou de son principal responsable légal ou habituel, mais pas nécessairement d’autres parents. Il peut être accompagné d’autres membres de la famille. (OIM rapport 2019, p 14).

[6] Association marocaine des droits humains.

[7] Chapitre IV Article 26 de la loi 02-03

[8] Article 22 alinéa 1

[10] Circulaire n° 13-487 du 9 octobre 2013 du ministère de l’éducation nationale

[11] « L’avis de naissance est délivré par l’hôpital où est né l’enfant. Il indique le lieu, la date, l’heure, le poids du bébé, le nom du médecin ayant pratiqué l’accouchement et le nom de la maman. En général, il est remis en même temps que le billet de sortie au moment de quitter l’hôpital. C’est la pièce la plus importante du dossier d’enregistrement à l’état civil. Tout obstacle à la délivrance de cet avis constitue une atteinte aux droits de l’enfant. » (Guide de Caritas au Maroc « L’inscription à l’état civil des enfants étrangers au Maroc » (2018))

[12] Circulaire 108 du 12 déc. 2008 du ministère de la santé