La nouvelle migration des jeunes Marocain(e)s vers l’Europe 2015-2016: Un autre regard

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Contexte de la dernière migration des jeunes Marocain(e)s

Un après midi du mois de Juillet 2015, qui coïncidait avec le mois de Ramadan, un des jeunes bénéficiaires d’un projet que je gérais dans la ville de Nador (Nord Est du Maroc), est venu me parler en me disant « Monsieur Hicham tu ne peux pas compter sur moi à partir de la dernière semaine du mois d’Août prochain », intrigué je lui demande pourquoi, est ce que les formations ne te conviennent pas ou t’es plus intéressé par le projet ? Hésitant, il me répond « non non pas du tout, mais je vais partir en Allemagne, y’a une nouvelle piste par la Turquie puis l’Europe de l’est, j’ai tout arrangé, mais j’attend la fin du Ramadan », il a terminé en me demandant de garder l’information pour moi, car c’est délicat et il ne veut pas que l’information se sache. Voilà comment j’ai découvert qu’on peut rejoindre l’Europe sans se risquer à traverser par les cotes Marocaines. En mi Septembre j’ai su que notre ami est dans un centre d’accueil à Frankfurt, et sa demande d’asile a été acceptée et il est super heureux.

Bien sûr à partir du mois de Septembre, les choses se sont accélérées et l’information s’est répandue comme une trainée de poudre, et on a pu observer depuis, que c’est de plus en plus facile d’emprunter la mer depuis la Turquie pour rejoindre l’Europe, plus précisément la Grèce. La ville d’Izmir est le point de référence pour le départ, et les îles de Saderas, Samos ou plus particulièrement Lesbos sont les plus ciblées à cause de leur proximité.

Ce qui a commencé par des initiatives individuelles s’est vite transformé en migration de masse, et c’est ainsi que des groupes entiers des villes de Nador, El Hoceima et Driouch sont partis vers la Turquie, puisque les marocain(e)s sont exonéré(e)s de Visa pour cette dernière, et ensuite vers l’Europe, j’ai pu suivre cette migration depuis le début, mais très vite s’est devenus hors contrôle.

D’après ce qu’on m’a raconté quelques amis, Au début ils sont accueillies chez des ami(e)s étudiant(e)s ou commerçant(e)s qui ont l’habitude d’aller et venir, mais très vite les trafiquants ont prit le relais pour prendre en charge toute l’opération de la Turquie vers la Grèce, bien sur contre des sommes de plus en plus importantes, vu que la migration a pris plus d’envergure et la demande a été très forte.

La situation au Nord du Maroc entre Septembre et Décembre 2015

Dés le début du Septembre 2015, les choses se sont vite précipitées. En effet la mort tragique et l’échouement du corps de l’enfant Syrien Aylan a permis au monde entier de découvrir l’envergure de la souffrance humaine aux portes de l’Europe, et aussi la décision courageuse de la chancelière Allemande, Mme. Angela Merkel, d’ouvrir les frontières de l’Allemagne aux réfugiés.

Cette décision coïncidait justement avec quelques vidéos des jeunes Marocain(e)s qui ont réussi à se faufiler parmi les réfugié(e)s depuis la Turquie, ce qui a provoqué une vraie effervescence sans pareil dans le nord du Maroc. En effet le sujet est devenu le thème de discussions par excellence, les jeunes étaient pris par l’obsession de la migration, et cherchaient par tous les moyens à financer le voyage, les familles sont devenues plus préoccupées par le future de leurs enfants, même s’ils étaient complices au début et encourageaient leurs enfants à partir. Dans les sites web locaux le sujet a été traité de tous les angles possibles, et ont indirectement participé à la divulgation et l’encouragement, or  très vite, des vidéos de déception ont commencé à circuler, comme un jeune qui a été lâché par sa famille en Allemagne et a été obligé de vagabonder dans les rues sans aucune aide.

Il est très difficile de décrire un tel phénomène social, des milliers de jeunes n’avait qu’une seule obsession : trouver l’argent nécessaire pour le voyage.

Les parents se sont vus incapables de contenir cet enthousiasme sans précèdent, car même si la région a connu plusieurs vagues de migration, dont la dernière date de 2005 avec la régularisation de presque 700000 migrants irréguliers en Espagne sous le gouvernement de Zapatero, et la volonté des jeunes du nord de partir d’en profiter à cause des liens linguistiques et historiques, et je me souviens amèrement d’un ami à moi qui a failli se noyer en 2005 dans une « Patera » en essayant de rejoindre les îles canaries, en contre partie plusieurs voisins de mon quartier ont réussi à être régularisés et vivent encore en Espagne jusqu'à maintenant. Effectivement, de Février à Avril 2005 il suffisait d’apporter une preuve que vous êtes en Espagne depuis plus de 5 ans pour être régularisé, la solution la plus utilisé était de recourir aux services de médecins corrompus pour des ordonnances avec une date antérieure.

Le choix de l’Allemagne dépasse le simple fait que le pays est le plus ouvert et accueillant à l’égard des réfugiés avec la mise en place d’une vraie opération structurée et largement appuyée par la population, les associations et les activistes, et le déblocage d’importants fonds pour cette opération. Mais aussi du fait que l’Allemagne compte une très grande diaspora Marocaine estimée entre 160000 et 180000, issue spécifiquement du Rif Marocain, à cause du traité signé avec l’Allemagne fédérale en 1963 pour le recrutement de la main d’œuvre Marocaine  pour travailler dans les mines, ce traité a spécialement bénéficié la population de la région de Nador, qui a été mise au chômage à cause de l’arrêt de l’exploitation des mines de Fer dans la région à cette époque.

Cette effervescence imprévu et soudaine, a largement dépassé tout le monde, les parents trouvaient du mal à financer les exigences de leurs enfants, d’autres ont choisi de liquider leurs petits business et partir, d’autres ont choisi d’autres pistes plus frauduleuses pour trouver l’argent pour partir. Aussi anecdotique qu’il soit, un ami à moi propriétaire d’une agence de location de voitures, et avec qui je traitait souvent, m’a raconté que les agences de location de voitures refusaient systématiquement de louer leurs voitures à des jeunes même avec des chèques garanties, car des jeunes ont déjà vendu des voitures de location au marché noire pour partir. Toutefois cette effervescence n’a pas manqué de tragédie dramatique,  un jeune de la ville de Zegangan, limitrophe de la ville de Nador,  s’est suicidé car sa famille ne pouvait pas lui procurer la somme requise pour partir.

Il est difficile de compter tous les faits divers liés a cette vague de migration, mais facile de la noter sur place : durant la période entre les mois de Septembre et Décembre 2015, on avait du mal à trouver les jeunes dans les rues, qui sont souvent entrain de se balader sur les corniches de Nador et Al Hoceima, l’ampleur est telle que certaines filles de la région, souvent très conservatrices, ont posté une vidéo a visage caché se plaignant de la migration des jeunes et les difficultés a trouver des partenaires pour mariage !

Anecdotique oui, mais révélateur d’une crise profonde et structurée ancrée dans l’esprit des habitants du Rif.

Des estimations faites suite au nombre de billets vendus dans les agences de voyage des villes du Rif, font état de plus de 17000 billets vendus vers la Turquie. Certes il est difficile de vérifier ce chiffre, mais c’était très facile de noter la foule des familles dans les gares routières de la ville de Nador accompagnant leurs enfants qui partent vers Casablanca pour prendre l’avion pour la Turquie, difficile aussi d’ignorer des centaines de vidéos postés sur Youtube et les réseaux sociaux, montrant des avions entiers de jeunes du Rif partant vers la Turquie ou les bateaux vers la Grèce.

Les causes de la migration chez les jeunes

Actuellement il est difficile de donner des explications préconçus ou standards des causes de cette nouvelle migration des jeunes, car il est difficile de comparer ce mouvement au simple fait de la pauvreté, l’instabilité politique, les guerres ou les changements climatiques comme c’est le cas pour la migration des Africain(e)s subsaharien(ne)s vers l’Europe, car ni le profil ni le contexte géopolitique est similaire.

Comme natif et activiste social depuis plusieurs années, Je me trouve largement dépassé par les événements qui ont succédé en 2015, personne n’a pu prévoir cette migration, même les intéressés eux mêmes, mais une analyse objective et posteriori me permet de mettre en avant plusieurs facteurs. Au début Le traitement médiatique de la migration des réfugiés de la Turquie vers l’Europe, ainsi que l’attitude positive de Mme la chancelière Angela Merkel, favorable à la présence de réfugiés en Allemagne, ont encouragé les jeunes à suivre la même route. D’autre part il ne faut pas négliger La forte présence de la diaspora Rifaine partout dans l’Europe, surtout en Allemagne, et la solidarité qu’elle a manifestée à l’égard de leurs proches au Maroc, soit en finançant le trajet, en venant les chercher dans les pays des Balkans pour leur éviter les mauvaises surprises, mais aussi en les hébergeant et facilitant le travail et la prise en charge la bas, ce qui peut expliquer en partie le faible nombre de Marocain(e)s dans les centres d’accueil en comparaison avec les dizaines de milliers qui sont partis. Les causes économiques sont aussi à prendre en considération, surtout, L’absence d’alternatives fiables et durables pour garantir un avenir pour les jeunes. En effet l’économie du nord du Maroc, est basée essentiellement sur une économie informelle liée à la contrebande avec la ville de Melilla, le trafic de drogue ou les transferts d’argent des familles en Europe. Toutefois actuellement la contrebande est asphyxiée par une politique étatique Marocaine, mais qui n’a effet direct que sur les petits commerçants vulnérables, ouvrant le champ aux gros commerçants avec de forts capitaux et qui peuvent facilement survivre aux vagues de saisies des douanes. D’autres part le trafic de drogue connait un recul, bien sûr pas sur le volume suivant les différents rapports l’estimant en croissance, mais recul au niveau d’impact social, surtout sur les jeunes, ce qui a pour conséquence de laisser le champ ouvert aux gros barons qui ont les moyens techniques et financiers pour assurer les routes et aussi absorber les saisies. Reste qu’à cause de la crise mondiale, des dizaines de milliers de marocains vivants en Europe ont perdu leur travail ou ont des difficultés financières ce qui a eu une conséquence directe sur les transferts d’aides aux familles au Maroc, les rendant plus vulnérables.

Personnellement je considère que la cause la plus sérieuse pour la migration des jeunes est liée essentiellement à l’esprit d’aventure et de tenter la migration en Europe, vu que c’est la première fois depuis l’adhésion de l’Espagne à l’Europe et ainsi l’obligation du Visa pour tout le sol Européen, qu’il est possible de partir et à ‘ moindre risque ‘. Les centaines de vidéos des jeunes en Europe qui ont réussi et incitant les autres à venir, ont eu aussi un impact direct sur la prise de décision de partir, bien sur sans aucun calcul des risques et conséquences de ce choix.

Les incidents de Cologne du 31 Décembre 2015

Aussi étonnant et surprenant qu’il soit les incidents de Cologne constituent un facteur déterminant dans le recul de la migration Marocaine vers l’Europe cette année. En effet la nuit du 31 décembre 2015, et pendant les festivités publics de la célébration, des dizaines de femmes allemandes ont portés plaintes le lendemain pour viols et agressions sexuelles par des refugiés et des étrangers, les autorités ont déclarés qu’il s’agissait de personnes « arabes et originaires d’Afrique du nord », ce qui a tout de suite enflammé les medias et les partis d’extrême droite très xénophobes. L’enquête qui a suivi les incidents a révélé que parmi les centaines de suspects arrêtés, seulement 3 refugiés peuvent être liés directement aux faits, les autres suspects sont d’origines étrangères mais résidants allemands.

Malheureusement la campagne médiatique, surtout en Europe, qui a suivi les événements, ainsi que l’accusation abusive des migrants et réfugiés, a eu un effet de choc pour des milliers de jeunes Marocains, qui se sont rendus à l’évidence que l’Europe n’est pas aussi accueillante, et les Européens ne sont pas tous « gentils », bien au contraire leur présence est mal vue et la plupart des Européens sont hostiles à leurs égards. A noter aussi que la presse Marocaine a suivi les faits et a condamné les agissements qui peuvent affecter l’image des migrants Marocains en Allemagne.

Bien sûr l’exagération des faits, et le traitement médiatique Européen injuste accusant systématiquement les réfugiés de tous les noms possibles, les décrivant comme des barbares sans aucun scrupule, sexuellement coincés et qui sont venus pour détruire la jolie Europe, a été dénoncé par tous les activistes, même par une grande partie de la population de Cologne, qui considère que la responsabilité est avant tout avec les forces de l’ordre qui n’ont pas pu assurer la sécurité des citoyens dans de tels événements.

Plus surprenant encore, des familles syriennes qui ont déjà réussi à passer au centre d’accueil de Melilla, ont décidé de le quitter et revenir vers d’autres villes du Maroc. Dans les semaines qui ont suivi cet incident et après les attentats de Bruxelles, il n’y’avait aucune famille Syrienne dans la ville de Nador, en revanche leur nombre avant variait entre 400 et 600 personnes résidants dans des hôtels pas chers ou des maisons aux périphériques de la ville de Nador, afin d’essayer de passer vers Melilla.

Du coté Marocain, les jeunes sont devenus hésitants, et les familles plus méfiantes avant de financer le voyage et donner leur accord pour cette migration, tandis que du cote Européen les partis politiques de droite et extrême droite jubilait de bonheur grâce à ce cadeau inattendu, et ils ont pu manifester leurs opinion complètement racistes et xénophobes partout dans les médias ou avec leurs partisans, chose qui n’était pas possible avant grâce à la forte mobilisation sociale et l’esprit d’entraide montré par la société civile ou de simples citoyens.

L’accord Marocco-Allemand pour le rapatriement des migrants Marocains

Au milieu de l’année 2016, et contre toute attente, les médias officieux Marocains ont publié une information sur une communication téléphonique entre le roi du Maroc et la chancelière Allemande. Derrière le texte répétitif, sans intérêt du communiqué ressort une information de taille, que le roi a décidé d’envoyer le ministre de l’intérieur Marocain pour étudier avec son homologue Allemand le rapatriement des Marocains dans les centres de détention Allemands et dont la demande d’asile a été rejetée.

Il est très difficile de connaitre exactement les raisons qui ont poussé le roi du Maroc à prendre cette initiative, mais ce qui est clair que cette décision a suscité une vague de critiques de la part des migrant(e)s Marocain(e)s en Allemagne. En effet, des centaines de vidéos de Marocain(e)s en Allemagne commençaient à circuler dans les réseaux sociaux, appelant les autorités Marocaines à les laisser tranquilles et ne pas se mêler de leur sort. Des vidéos plus critiques de certains jeunes en colère qui renoncent à la nationalité Marocaine.

Cette colère est largement compréhensible par la population Marocaine, qui estime que c’est légitime de chercher un avenir meilleur dans un autre pays, tant que le sien n’a pas pu leur garantir une vie digne.

Après cette décision, et les échanges de visite entre les ministres d’intérieur des deux pays, le processus n’est pas aussi simple, au moins au niveau de l’Allemagne, signataire de la convention de Genève pour la protection des droits des refugié(e)s et demandeurs d’asile, surtout que le Maroc est considéré par l’Allemagne comme un pays «  pas sur », et que ses ressortissants ont le droit de demander l’asile en Allemagne. Ce qui a enchainé un long processus politique et juridique dans le parlement Allemand, la première chambre a très vite  décidé de retirer le Maroc, l’Algérie et la Tunisie de sa liste des pays pas sur, rendant le rapatriement de leurs ressortissants juridiquement possible, devant l’indignation de la société civile Allemande, mais heureusement la deuxième chambre n’a pas encore validé cette décision. Or on ne peut  que se demander sur la vitesse de prendre des décisions politiques qui peuvent affecter la vie et le futur de milliers de gens, sans aucune considération des répercussions de décisions pareilles.

Mais malgré cette décision, le processus est long et difficile. Selon le gouvernement allemand, entre janvier et juin 2016, seulement 43 Marocain(e)s ont été déporté(e)s de l’Allemagne, d’un total de 2997 personnes tenues de quitter le pays.

Ce chiffre reste dérisoire, surtout en comparaison avec les centaines de Marocain(e)s qui ont choisi un retour volontaire, essentiellement à cause du refus de leur demande d’asile, ou par manque de familles ou ami(e)s qui peuvent les supporter la bas ou leur faciliter l’intégration.

La discussion si  le Maroc est un état d'origine sur

Les derniers évènements survenus depuis la fin de l’année 2015 ont montré que les intérêts politiques peuvent facilement outrepasser toute limite, et même considérer le Maroc comme un pays sur, en négligeant tous les rapports élaborés dans ce sens ou les remarques des ONGs et activistes des droits de l’homme.

Il se peut que le Maroc vit une stabilité politique, mais elle reste fragile et trompeuse, tant que le système mis en place est policier et basé sur la répression, négligeant les droits les plus basiques des citoyen(e)s Marocain(e)s pour une vraie démocratie.

A titre d’exemple la maltraitance et la torture reste monnaie courante dans le système policier et carcéral Marocain, les lois répressives à l’égard des homosexuels sont toujours appliqués et souvent abusivement, la liberté de foie est inexistante au Maroc, ainsi que les pratiques discriminatoires à l’égard des femmes sont largement visibles.

Le Maroc ne peut en aucun cas être pris comme un modèle de pays de respect des droits de l’homme, malgré les discours et l’image qu’on essaie de faire circuler par les autorités, mais c’est pas le bon chemin à prendre.

L’état Marocain doit avant tout ouvrir un vrai débat politique et social avec les jeunes, les écouter et élaborer de vraies politiques de développement basées sur l’égalité des chances, la bonne distribution des ressources sur toutes les régions et ne pas se focaliser uniquement sur certaines villes, adopter de vraies mesures de lutte contre la corruption et l’abus de pouvoir, développer des programmes culturels et artistiques pour donner la chance aux jeunes de s’exprimer, mais surtout et essentiellement respecter la dignité du citoyen(ne) Marocain(e), et réprimer l’abus de pouvoir des forces de l’ordre qui n’hésitent pas à utiliser la torture et l’excès de force contre les citoyens, et le dernier incident intervenus dans la ville d’Al-Hoceima, ou un citoyen a été broyé dans un camion d’ordures suite aux ordres d’un officier de police, a été l’initiateur des dizaines de manifestations partout au Maroc, des milliers d’hommes, femmes et enfants sont sortis simultanément sans aucune préparation préalable montre que le Maroc a encore un large chemin à faire avant d’être vraiment considéré comme un pays sur, au moins pour ses citoyens.

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