Montée en puissance de l’extrême droite en Europe : Quelles retombées pour le Maroc ?

Temps de lecture: 10 minutes
Marine Le Pen

Cet article traite l’impact général possible sur le Maroc dans le cas où la droite populiste et/ou extrême continue sa montée en Europe, et ce en prenant en compte l’éventualité que ses succès électoraux se traduisent ou non par le contrôle de gouvernements nationaux, mais également que la participation au pouvoir puisse avoir lieu dans le cadre de coalitions avec les partis de la droite traditionnelle.

La montée en puissance du populisme de droite est une réalité implacable

Parmi les grands pays d’Europe occidentale, la France semble la plus menacée par un succès électoral de l’extrême droite. De fait, dans la précampagne des présidentielles actuelles, Marine Le Pen, cheffe et candidate du Front National, dispute, dans les sondages d’opinion, la première place au centriste Emmanuel Macron. Or c’est la France qui accueille la plus grande communauté marocaine en Europe. Cette communauté est aussi la plus ancienne et celle qui effectue le plus important transfert financier vers son pays d’origine.

La France est loin d’être le seul pays européen menacé d’avoir un leadership politique officiel issu de la droite extrême. L’Autrichien Norbert Hofer, le candidat du parti de la droite populiste FPO, a failli remporter les élections présidentielles en mai dernier. Ça eût été la première fois, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, qu’un leader d’extrême droite est élu comme chef d’Etat. De même, la droite populiste polonaise, Droit et Justice (plus pragmatique) est au pouvoir depuis plusieurs années à Varsovie.

Les mêmes courants populistes font de bons scores dans de nombreux pays européens comme les Démocrates de Suède (13%), le Parti du Peuple au Danemark (parmi les organisations politiques les plus populaires dans ce pays de tradition social-démocrate), l’Alternative Pour l’Allemagne (AFD), un très jeune parti mais qui flirte, dans les sondages, avec les 15% d’intention de vote. A cela il faudrait ajouter, le mouvement populiste suisse qui a fait un grand  triomphé lors de son « initiative populaire » anti-minarets soutenu par deux partis l’UDC et l’UDF. On peut dire la même chose pour le Parti de la Liberté aux Pays-Bas (PVV, arrivé deuxième lors des élections législatives de mars 2017) et d’autres mouvements semblables en Grande-Bretagne (Ukip), en  Hongrie (Fidsz) et ailleurs.

Les progrès exponentiels de l’extrême droite et/ou populiste se vérifient, depuis près d’un quart de siècle. Non seulement sur le plan des scores électoraux qu’elle réalise. Mais également dans le fait qu’elle ait réussi, dans plusieurs pays, à faire éclater la ceinture d’isolement qui la cernait dans la société politique, il y une quinzaine d’années encore. Disons qu’il n’est plus infamant pour des dirigeants de droite de s’allier avec l’extrême droite. De même, il n’est plus tabou pour les électeurs de la droite traditionnelle, de voter pour elle. Ainsi, si Jean-Marie Le Pen, le leader de l’Extrême droite française n’a pu augmenter son score que d’un peu plus d’un point entre le premier et le second tour lors des élections présidentielles de 2002 (passant de près de 17% à un peu plus de 18%), le candidat de la droite populiste en Autriche est passé de 35,1% à 49,7 réalisant un gain de plus de 14 points entre les deux tours en mai 2016. Et ce n’est qu’un exemple.

La trinité détestée est étroitement associée au Maghreb: Migrants, Islam et Mondialisation

Ces trois « ennemis » déclarés de l’extrême droite européenne sont inextricablement liés entre eux. La majeure partie des migrants et des réfugiés est de confession musulmane. La mondialisation donne plus d’impact, sur le plan international et européen, à l’Islam politique et à l’extrémisme violent. Mieux : pour l’Europe latine (France, Espagne, Italie…) ces trois « dangers » sont fermement liés au Maghreb, et notamment au pays nord-africain le plus proche sur le plan géographique : le Maroc. Puisque le premier effet de la mondialisation sur le plan de la mobilité des populations dans cette partie d’Europe, est la présence de millions de Maghrébins. Ceux-ci sont, de plus, quasiment tous musulmans. Si l’on compte les immigrés maghrébins présents dans les trois payés précités, les Marocains représentent une majorité relative parmi eux. De même, la majeure partie des migrants « irréguliers » subsahariens passe via le Maroc et le Maghreb. Pire, les actes récents de violence politique massive qui ont frappé cette partie d’Europe sont le fait de migrants d’origine nord-africaine.

Retombées possibles pour le Maroc et le Maghreb

Le Maroc qui dispose d’un « statut avancé » auprès de l’Union européenne et espère renforcer encore plus ses liens économiques et institutionnels avec elle, risque de voir ces espérances ainsi que son développement socio-économique et politique contrariés par la vigoureuse poussée de l’extrême droite dans une bonne partie des membres de l’Union Européenne (UE). Et cela pour plusieurs raisons dont la plus importante est la suivante :

L’UE est perçue par la droite populiste et/ou extrême comme un sous-produit de la mondialisation, voire comme une globalisation petit format. L’UE est donc vue comme une entité antithétique à la nation tant adulée par l’extrême droite. L’UE est d’autant plus combattue qu’elle représente un autre « ennemi », l’élite « illégitime »  incarnée par la bureaucratie bruxelloise. Celle-ci est vue comme échappant au contrôle populaire voire comme une force occulte liée à un cosmopolitisme comploteur contre les peuples européens. Selon une recherche menée dans le cadre du CNRS-Sciences Po Bordeaux, « on a aujourd’hui 18 Etats dans lesquels au moins un parti politique réclame un référendum en vue d’une sortie de l’Union européenne. »

Le président sortant du Parlement Européen, Martin Schulz, qualifiait en décembre 2016, dans l’ambiance tendue qui a accompagné le Brexit, le climat comme «  empoisonné » sans précédent d’autant plus qu’il est nourri par le « mensonge » eurosceptique.

Les craintes et les idées portées par la vague de la droite populiste ont fini par impacter, tant sur le plan discursif que programmatique, la majorité de la classe politique : quasiment toute la droite et une bonne partie de la gauche. Ainsi la sérieuse, modérée et pro-européenne Fondation Robert Schuman affirme dans une étude consacrée aux euroscepticismes :

« Le sentiment de maints citoyens aujourd'hui est que l'Europe est un "espace" ouvert qui n'est pas protégé et c'est à cette crainte qu'il faut répondre. […] Face à la crise des réfugiés, l'accueil des personnes fuyant des pays en guerre constitue un impératif moral et un droit fondamental ; dans le même temps, la recherche de communauté et d'identité (ayant conduit au nationalisme) doit être tout autant prise en compte dans le contexte de la crise migratoire. 

L'histoire du siècle précédent montre que ne pas prendre au sérieux ces exigences et ces aspirations exprimées par les citoyens c'est prendre le risque qu'elles le soient par des forces politiques radicales anti-européennes. »

Les faits, idées et réalités susmentionnés ne peuvent pas ne pas impacter, probablement à moyen terme le Maroc et ses liens avec l’UE et les Etats membres :

-Les aides économiques et financières directes et indirectes (à l’Etat, à la société civile et aux entreprises) ne peuvent que diminuer ou du moins stagner. Comme la droite populiste est adepte du patriotisme économique et qu’en général, elle s’oppose au libre-échange, le statut d’associé avancé dont jouit le Maroc et l’ouverture relative du marché européen aux produits marocains, peuvent être, à terme, menacés : les secteurs économiques marocains les plus modernes sont orientés vers l’exportation (les produits industriels marocains entrent à droit zéro dans l’UE). Ils peuvent donc craindre ce risque géopolitique surtout que le royaume, pour des raisons géographiques et historiques, est très fortement lié aux économies des pays de l’UE. Le Maroc réalise la grande majorité de ses échanges commerciaux avec l’Europe. L’aide au développement et tout ce qui ressemble à des « faveurs » économiques et financières aux pays de la rive sud sera combattue par les droites extrême et populiste au sein du Parlement Européen et des gouvernements nationaux. D’autant plus que les succès électoraux de l’extrême droite semblent liés dans certains pays européens à la crise économique et au marasme social dont souffrent les « petites gens » qui ne veulent pas que des populations étrangères du même niveau socio-économique les concurrencent sur les menues aides qu’ils reçoivent des services de protection sociale. Mais à l’analyse, il parait qu’il n’y a pas de lien de cause à effet automatique entre chômage et conditions socio-économiques déplorables et vigueur électorale du populisme racisant. Ainsi, le chômage est au plus bas en Autriche (autour de 5,5%) mais la droite populiste est au plus haut (49,3 aux présidentielles de mai 2016). Par contre l’Espagne, le Portugal et la Grèce se trouvent dans une situation inverse : la crise économique et ses retombées négatives sur les conditions de vie des populations ne se traduisent pas par des gains électoraux de la droite extrême. Cela semble lié au fait que ces pays sont sorties les derniers des dictatures de la droite fascisante. La mémoire collective est donc toujours marquée par les souffrances provoquées par ces régimes d’extrême droite.

-Les liens institutionnels entre les deux partenaires peuvent aussi pâtir du renforcement de la présence de l’extrême droite au sein des institutions représentatives de l’UE. De fait,  lesdits liens ne sont déjà plus portés par une dynamique ascendante d’autant plus que l’affaire du Sahara empoisonne de plus en plus les rapports entre les deux parties.

 Le respect des droits humains et des libertés publiques peut encore être plus marginalisé qu’elle ne l’est aujourd’hui dans les rapports diplomatiques UE-Maroc. Non seulement du fait que les droites populiste et extrême ne s’y intéressent pas, mais aussi parce que la puissance diplomatique de l’UE risque d’être affaiblie par le triomphe des nationalismes dans ses Etats membres. Or, l’UE a toujours donné plus d’intérêt, que ses Etats membres, aux droits humains dans les pays tiers. Une telle situation serait défavorable également à l’accompagnement par l’UE du processus de démocratisation au Maroc et en Tunisie.

 

-Le renforcement de la fermeture d’Europe sur le plan légal (conditions d’obtention des visas…) et sécuritaire (Frontex, expulsion des migrants irréguliers…) aux potentiels migrant(e)s marocain(e)s peut impacter négativement la psychologie collective de la population à revenu faible. Et cela en réduisant encore plus l’espoir de pouvoir un jour traverser la Méditerranée pour améliorer ses conditions de vie. L’extinction définitive de cette lueur d’espoir –menu mais vivant encore- peut augmenter la tension politique entre l’Etat et la jeunesse sans emploi.

-La dégradation de la situation de l’emploi des jeunes : l’influence de l’extrême droite est palpable sur la politique migratoire de plusieurs pays européens. Ainsi le poids politique grandissant de la droite populiste allemande a été décisif dans l’option de Berlin de renvoyer vers leur pays quelques milliers de Marocains. Il s’agit d’une décision de contre-propagande avant tout. Et ce car le nombre des Marocains susceptibles d’être expulsés ne peut atteindre 1% des réfugiés acceptés depuis 2015 et qui dépassent le million. Ainsi, Angela Merkel semble se donner beaucoup de mal pour convaincre le Maroc et d’autres pays maghrébins d’accepter le retour d’une partie de leurs ressortissants. Autrement dit pour peu de résultats, il est clair que le principal objectif est de montrer aux secteurs populaires influencés par le discours anti-migratoire que le gouvernement est ferme. Si pour l’Allemagne, l’acte est insignifiant sur le plan pratique, pour le Maroc, il ne peut qu’impacter négativement la situation de l’emploi.

-Le discours anti-migratoire et islamophobe des droites extrêmes et populistes, peut renforcer les courants xénophobes au Maroc qui incluent, entre autre, l’extrémisme violent. Ces sentiments de rejet de l’étranger peuvent faire tort à la communauté des Européens vivant au Maroc et par ricochet aux migrants subsahariens.