Il est temps de changer notre relation à l’Océan

Que l'on soit loin des côtes, ou en bord de mer, l'océan est partout dans nos vies. Il est dans nos poèmes, dans nos imaginaires, dans nos assiettes, dans nos supermarchés. Il est au cœur de la mondialisation, puisqu'il permet le transport à bas coût des marchandises produites puis consommées aux quatre coins du monde. Il est au cœur de la culture et de l'identité des régions côtières, que cela soit pour les pécheurs ivoiriens de Lahou-Kpanda, ou pour les pécheurs marocains d'Al Hoceima et d’Essaouira, mais aussi au cœur de la gastronomie et du mode de vie de nombreuses populations. C'est un écosystème complexe, qui rend de nombreux services indispensables à l'Humanité. 2,9 milliards de personnes tirent 20 % de leurs besoins en protéines du poisson. L'océan capte près de 27 % du CO2 émis, et 93 % de l'excès de chaleur, permettant ainsi de réguler le climat et aux êtres vivants de vivre.

L'océan est pourtant menacé par les activités humaines, trop souvent considéré comme un puits sans fond duquel les êtres humains peuvent tirer des ressources à l'infini, ou dans lequel l'humanité peut se délester de ses déchets. Ainsi, le réchauffement climatique, causé par les activités humaines, contribue à l'acidification des océans et à la montée du niveau de la mer, menaçant en retour les habitats humains, en premier lieu sur le littoral. La pêche massive et non régulée entraîne des conséquences graves : 90 % de la population de poissons est exploitée au maximum ou surexploitée. Cela signifie que si de mesures de restrictions et de quotas ne sont pas prises, certaines espèces pourraient purement et simplement disparaître. Cela n'entraînerait pas seulement la fin des plateaux de fruits de mer et les plats de poisson dans nos pays, mais avant tout la perte de moyens de subsistance pour de nombreux pêcheurs et leurs familles dans le monde entier. L'aquaculture, qui se présente parfois comme un remède à la surpêche - à défaut d'y mettre réellement un terme - est en plein essor. A échelle industrielle, elle entraîne de nombreuses conséquences écologiques et sociales. Surtout, elle élude le problème, favorisant une augmentation de la consommation de poisson dans les pays développés, alors même qu'il faudrait la réduire.

Ces derniers jours et semaines, le problème des déchets plastiques a fait la une et s'est inscrit dans l'agenda médiatique et politique. Il était temps, mais ce n'est pas suffisant. Ce sont en effet plus de 8 millions de tonnes de déchets plastiques qui se retrouvent chaque année dans l’océan, et qui polluent les sols et les fonds marins, et menacent la survie de la biodiversité. Si louables les nombreuses initiatives – bateaux de collecte ou barrières flottantes – pour limiter la prolifération des déchets plastiques soient-elles, elles passent à côté du cœur du problème. Seul 1% des déchets plastiques rejetés dans l’océan sont visibles à sa surface. Et seule la moitié de ces déchets « visibles » est concentrée dans des amas de déchets (vortex). Le reste se répand dans l’eau et sur les fonds marins : ce sont les microplastiques, que l’on ne peut plus récupérer.

Ces pollutions ne sont pourtant pas le seul fait des activités littorales ou des navires. Elles ne sont pas loin de nous, y compris lorsque nous habitons à plusieurs centaines de kilomètres des côtes, à Berlin ou à Fès : elles prennent leur source au cœur de nos modes de vie, jusque dans nos cuisines et dans nos salles de bain. Dans plusieurs pays industrialisés, l’utilisation de microplastique dans les cosmétiques – dentrifrices, crèmes gommantes - mais aussi le suremballage participent ainsi très fortement à ce phénomène. C’est donc sur la terre ferme qu’il faut agir, non seulement pour recycler ces matières plastiques, mais aussi pour en éviter, autant que faire ce peut, leur utilisation. Les pouvoirs politiques doivent agir. Le Maroc a fait le choix d’interdire les sacs en plastique à partir du 10 Juin 2016. C’est une mesure dont d’autres pays pourraient s’inspirer. En Europe, la Commission européenne vient de présenter ses propositions pour réduire ces pollutions : elles vont dans le bon sens mais peuvent aller encore plus loin. Il est crucial que les Etats s’engagent pour la conclusion d’un accord international contraignant contre la pollution plastique. Selon une étude de la Fondation Heinrich Böll, cet accord pourrait se calquer sur l’accord de Paris pour le climat : une convention dotée d’objectifs globaux contraignants, combinée à des engagements nationaux volontaires qui, ensemble, permettent d’atteindre les objectifs. Des propositions de limitations et d’interdiction de la production de matières plastiques analogues au protocole de Montréal sont déjà sur la table.

La surpêche et le microplastique ne sont que deux problèmes parmi d'autres, qui touchent l'océan et menacent par ricochet la vie humaine sur la terre ferme. Les activités humaines, industrielles, touristiques, la présence toujours accrue d'habitations sur les côtes menacent la biodiversité et contribuent à la fragilisation du littoral. Le Maroc, avec ses 3,500 kilomètres de côte et un flux touristique important, s’avère être un contexte où les tentations - souvent financières - de céder sur la protection de l’espace côtier sont nombreuses.

Sur tous ces sujets, la communauté internationale doit agir sans tarder et prendre des mesures ambitieuses. Ces mesures ne pourront être efficaces et mises en place que si la société civile s'engage, comme elle a su le faire pour l'accord de Paris sur le climat, aux côtés des experts scientifiques, pour convaincre les acteurs politiques et économiques de la nécessité d'une nouvelle relation à l'océan, plus respectueuse.

 

Il est temps que l'Humanité entame une autre phase de sa relation à l'océan, celle de la maturité. Ce n'est qu'à cette condition que la durabilité de l'océan et de ses écosystèmes, et celle de l'humanité, pourront être assurées.