Transformation écologique et sociale en Tunisie 1
Ces années précédentes, la Tunisie a connu d’importantes évolutions dans de nombreux domaines, tels que le système politique et les structures de gouvernance, les possibilités de participation à la vie démocratique, les droits humains, la liberté de parole et la liberté de la presse. Au lendemain du soi-disant Printemps arabe et de l’éviction de l’ancien président Zine el-Abidine Ben Ali, le pays a non seulement adopté une nouvelle constitution, mais a également, et à deux reprises, tenu des élections qui ont communément été jugées libres et équitables (Freedom House 2012, 2015). En outre, le pays a débuté un travail sur son passé autoritaire dans un projet de justice de transition soigneusement planifié, qui devrait faire la lumière sur les erreurs tant politiques que sociales durant la période du régime dictatorial. Cet article examine dans quelle mesure les ruptures et les efforts de transition initiés depuis 2011 sont considérés comme ayant déclenché des changements sociaux, écologiques, et concomitamment, politiques.
Avant les soulèvements, la Tunisie était considérée comme un « miracle économique » (Hibou 1999, Allal 2012, Cavatorta, Haugbølle 2012). L’économie tunisienne connaissait alors une croissance constante, ignorant même la crise financière mondiale à son pic entre 2009 et 2010 (Lust 2011, p.4, Cavatorta, Haugbølle 2012, p.183). Ainsi, le développement de la Tunisie imprimait une évolution sociale dans le sens d’une augmentation constante de la richesse et de la prospérité. Néanmoins, le développement socio-économique a été inégal, car profitant principalement aux zones côtières. De plus, l’économie était dominée par un État quasi-mafieux et prédateur (Ayeb 2011, Cavatorta, Haugbølle 2012), construit sur le copinage et la corruption et profitant principalement aux proches de Ben Ali, ce qui avait encore plus de conséquences d’exclusion que la simple privation.
Un développement régional inégal et un taux de chômage des jeunes élevé, qu’Amin Allal a nommé « double clivage socio-territorial et générationnel » (2012, p.824), comptent parmi les moteurs de l’agitation sociale, en particulier dans les régions marginalisées du Sud, du Centre et de l’Ouest. 2 À noter aussi que le soi-disant Printemps arabe a commencé sous la forme d’un mécontentement lié à l’injustice sociale, à la corruption et au chômage dans les régions intérieures marginalisées, avant que les revendications n’adoptent une expression plus politisée et que les protestations ne s’étendent au Nord et aux régions côtières (Ayeb 2011). Ainsi, les notions d’évolution sociale en Tunisie sont souvent liées à la quête et à l’espoir de plus de justice sociale que la révolution aurait dû entraîner, parmi lesquelles l’amélioration de la situation socio-économique dans les régions intérieures et de celle des jeunes, ainsi que le démantèlement du système de corruption.
De même, la Tunisie de Ben Ali s’était en apparence engagée à oeuvrer pour la protection de l’environnement depuis l’adhésion du pays à de multiples accords internationaux et l’instauration d’une législation nationale, accompagnées de mesures symboliques, comme l’illustre l’aménagement de « Boulevards de l’Environnement » partout dans le pays. Cependant, de telles mesures font plutôt figure de simulacres ayant pour but d’attirer les capitaux des fonds de l’Union européenne destinés à des projets environnementaux (ibid.) Ce sont en particulier les régions qui abritent les industries lourdes telles que l’extraction et la transformation des phosphates (certaines d’entre elles sont riches en ressources naturelles, alors que d’autres ne font qu’abriter les sites industriels) sont accablés par la pollutionet par les défis écologiques qui en découlent. Cela affecte également et principalement les régions marginalisées mentionnées précédemment dans le sud et le centre tunisien.
Il est possible d’analyser l’évolution écologique3 sous plusieurs angles différents, ce qui induit une interprétation différente chez différents acteurs. Cette évolution peut avoir une connotation tant positive que négative : elle peut souligner la pollution et la dégradation de l’environnement, ou bien l’amélioration de la situation écologique. Si l’on relie les questions d’ordre politique, sociale et écologique entre elles, et en analysant la situation à travers du même filtre qui considère la chute du régime en 2011 comme une rupture cruciale et l›occasion d›entamer un changement, il apparaît alors clairement que l’évolution écologique, pour les fins de cet article, serait mieux définie comme une évolution dans les attitudes, les approches et les opportunités envers l’environnement et pour la protection de l’environnement.
Par conséquent, ce document fournit un aperçu (1) des injustices sociales et écologiques en Tunisie ainsi que des disparités régionales. Ensuite vient la question de savoir (2) s’il y a eu des changements palpables, en particulier depuis la chute de la dictature en 2011, et s’il y a eu une volonté politique de changement, notamment en ce qui concerne le défi de la corruption. Enfin (3) sera examiné la question de savoir si la transformation sociale et écologique pose des défis concurrents en Tunisie. Ce dernier point comprend une brève discussion sur le rôle des acteurs internationaux.