Le rapport spécial du GIEC (Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat), publié le 8 Octobre dernier, sur les conséquences d’un réchauffement climatique de 1.5 degrés Celsius - seuil d’une importance capitale pour les pays vulnérables - a souligné encore une fois le danger de la négligence du changement climatique. Il existe maintenant un consensus scientifique sur le fait qu’il est toujours possible de limiter le réchauffement climatique global à 1.5 degrés Celsius (au-dessus du niveau préindustriel) à condition d’adopter des mesures de réduction radicales qui touchent primordialement au secteur de l’énergie, mais aussi au secteur du transport, de la nourriture et de l’aviation. Le rapport couvre deux scénarios principaux, l’un visant une réduction rapide des émissions qui permettrait de rester en dessous des 1.5 degrés, et l’autre, plus pessimiste, dépasserait les 1.5 degrés mais qui serait contrebalancé par des réductions tardives, en espérant ne pas rester en dessus plus longtemps qu’il ne le faut.
Ce qui est étonnant n’est pas ce fait là, mais plutôt le fait que les pays vulnérables à ce changement hésitent toujours à s’engager dans de grandes actions pour s’adapter à un futur plus « chaud », notamment un degré et demi ou plus selon la région, même dans le meilleur des scénarios. Pour simplifier, la planète est déjà un degré Celsius plus « chaude » par rapport au niveau préindustriel, et le consensus scientifique dicte qu’il sera impossible de rester en dessous des 1.5 degrés d’ici la fin du siècle même en réduisant toutes les émissions mondiales à zéro avant 2030. Néanmoins, les gouvernements des pays en voie de développement se comportent comme étant plus concernés par la réduction de leurs émissions, plus que par leur adaptation à un réchauffement d’un degré et demi, maintenant inévitable, et dangereux pour leur population, économie et géographie.
Certes, tout le monde doit se concentrer sur la réduction de ses émissions pour ne pas dépasser ce seuil, mais toujours est-il qu’il faudra aussi s’adapter proportionnellement au réchauffement, ce qui est loin d’être le cas. Devant un constat comme celui du rapport du GIEC, il faudrait trouver rapidement une réponse à ce soi-disant dilemme : Est-ce que le Maroc doit mettre en priorité la réduction de sa contribution au réchauffement en bon citoyen du monde, ou bien se concentrer sur une adaptation du secteur agricole et de l’eau pour au moins 1.5 degrés de réchauffement qui sont maintenant garantis ? La réponse est simple : le Maroc ne contribue qu’à 0.2% des émissions globales en gaz à effet de serre, mais est l’un des pays les plus vulnérables aux effets du changement climatique vu sa géographie. Devant une hausse de température d’un degré et demi, le secteur d’agriculture employant 40% de la population et constituant 14% du produit national brut du Maroc serait quasiment détruit dû à l’irrégularité des précipitations, des inondations imprévues, des périodes de sécheresse plus fréquentes et des vagues de chaleur plus longues. La gestion de l’eau n’en sera pas moins impactée. Donc la priorité est de focaliser sur l’adaptation, non ?
Développement ou adaptation ?
En fait, la réponse à ce dilemme n’est pas purement « climatique » , un pays en voie de développement a toujours pour priorité son propre développement économique, permettant une meilleure infrastructure, un taux plus bas de pauvreté et une meilleure couverture pour les secteurs de l’éducation et de la santé, ce qui n’est pas toujours facile à concilier avec l’adaptation, qui suggère une décentralisation de quelques secteurs, une restructuration d’autres, et peut-être même un rétrécissement de quelques-uns.
En plus, et pour preuve que la question du développement économique est la priorité, même concernant les projets à caractère climatique, le Maroc saisit l’occasion de la présence de finance climatique pour attirer plus d’investissements directs étrangers (FDI). La Contribution Déterminée au niveau National (NDC) du Maroc a précisé notamment que le Maroc vise une réduction plus ambitieuse de ses émissions à condition d’une disponibilité de 35 milliards de dollars américains investis dans des projets sur son territoire. Cette situation s’avère être un scénario gagnant-gagnant, mais le Maroc a aussi d’autres projets futurs d’énergie à base de combustibles fossiles - l’une des causes majeures du changement climatique - avec des partenaires étrangers, et a investi dans l’exploration des réserves de combustibles fossiles jusqu’à 1.2 milliards de dirhams en 2017. Quelques projets clés sont la centrale thermique de Safi et l’exploitation de réserves gazières à Tendrara. Ceci est important dans la mesure où le Maroc essaye de s’autonomiser en énergie puisqu’il importe 96% de ses besoins énergétiques, mais aussi dans la mesure où les projets d’énergies fossiles rapportent un gain beaucoup plus rapide que celui des projets d’énergie solaire ou éolienne. La question est donc d’ordre économique en premier lieu.
En parlant d’énergies renouvelables, le Maroc est aussi un peu dans l’embarras du choix entre un financement international assez costaud pour des mégaprojets visant une réduction des émissions à travers la production d’énergie solaire ou éolienne, et un budget assez maigre concernant les projets d’adaptation, particulièrement à la sécheresse. Seulement 7 projets accrédités par un financement climatique concernent l’adaptation contre 17 pour l’atténuation[i] au Maroc. Ceci ne concerne pas seulement le Maroc, il est estimé au niveau mondial que les projets d’atténuation ont dirigé 382 milliards de dollars américains contre 22 milliards pour les projets d’adaptation.
La solution au problème est peut-être très simple : pourquoi le secteur privé n’investirait-il pas dans des projets d’adaptation, ce qui aiderait les pays comme le Maroc à développer leur économie tout en s’adaptant à un futur incertain ? Le hic est que les projets d’adaptation visent le futur lointain, et leurs bénéfices ne sont tangibles qu’après 10 ans au moins, chose qui n’est pas très encourageante pour les investisseurs. Deuxième solution : Pourquoi les pays majoritairement responsables du changement climatique ne financent-ils pas l’adaptation des pays vulnérables (et non-responsables) ? Le mécanisme international de Varsovie (WIM) concernant la question des pertes et dommages, ne vise que cela. Il a été promis à la COP21 que 100 milliards de dollars américains seront mis à disposition annuellement pour l’adaptation des pays en voie de développement, mais il reste beaucoup de chemin à faire pour arriver à débloquer ces fonds et les négociations internationales bloquent vraiment sur ce front.
Entretemps, dans l’attente de ces fonds ou d’un paradigme de « développement compatible au climat », les pays en voie de développement doivent urgemment prioriser l’adaptation au changement climatique puisque leurs économies ne fonctionneront pas dans leur état courant sous un réchauffement même d’un degré et demi. Le Maroc, pays a vocation agricole, ne pourra pas se restructurer en économie de services avant 2030 pour échapper au fléau, de plus que les effets du changement climatique sont déjà ressentis par les agriculteurs. Une adaptation se traduira par une meilleure gestion de l’eau, plus particulièrement sur les sommets montagneux dégradés, une reforestation des zones dégradées qui réhydratera le paysage et minimisera le risque d’inondation, une plus grande diversité de cultures pour une meilleure résilience face à l’irrégularité des intempéries et des vagues de chaleur, particulièrement les plantes endémiques et les variétés locales, et une gestion de fertilité du sol adaptée, avec des additifs dérivés de la biodiversité locale tout en maximisant les fonctions de chaque élément dans l’écosystème agricole pour minimiser les pertes. Les détails n’échappent pas aux connaisseurs du domaine de l’agroécologie.
La solution est claire, mais y arriver ne sera pas sans obstacles. Financée par le public ou par le privé, ce qui est sûr est que l’adaptation à un degré et demi de réchauffement doit être prioritaire au Maroc s’il veut toujours aspirer à un développement économique et éviter des pertes colossales sur son territoire, et cette priorisation être reflétée sur les projets planifiés pour les années à venir. La COP7 de Marrakech avait commencé le processus des plans d’adaptation, et la COP22 a mis l’accent sur un objectif global d’adaptation, la moindre des choses est que le pays hôte de ces deux évènements clés à l’adaptation aie un plan national d’adaptation qui reflète cet engagement.
[i] Meriem Houzir, Transparence dans la Finance Climat au Maroc, Octobre 2018; Heinrich Böll Stiftung Afrique du Nord Rabat