Le bulletin politique affirme que la société civile Marocaine devrait être invitée et consultée par les dirigeants européens lorsque ces derniers décident des politiques migratoires impliquant le transit de personnes souhaitant se rendre en Europe via le Maroc afin d’améliorer la situation des migrant-e-s.
Par sa position géographique, le Maroc est fortement impliqué dans les politiques migratoires entre l’Europe et l’Afrique, et le pays joue fréquemment un rôle de régulateur dans le flux de migrants en provenance d’Afrique et désireux de traverser la Méditerranée. Cependant, dans bien des cas, la situation des droits humains demeure problématique. Afin d’améliorer la situation, les acteurs de la société civile marocaine, qui peuvent servir de passerelle entre les migrants au Maroc et les décideurs européens, devraient faire entendre leur voix et être impliqués dans les prises de décisions.
L’Europe maintient un contrôle de plus en plus strict de ses frontières, notamment avec un verrouillage militarisé des enclaves espagnoles, des patrouilles maritimes et la création en octobre 2016, de Frontex, l’Agence européenne de gardes-frontières et de garde-côtes, laquelle emploie au moins 1 500 gardes-frontières et du personnel auxiliaire pouvant être déployé en cas d’intervention rapide.[i]
En raison de sa situation géographique et de la présence sur son territoire des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, le Maroc est devenu un pays de transit pour de nombreux migrants. Pour faire suite à la mise en œuvre de la Stratégie nationale pour l’immigration et l’asile en 2013, le Maroc a régularisé, entre 2014 et 2015, plus de 23 000 migrants sur un total de 27 649[ii], dont la plupart tentaient de rejoindre l’Europe. Parallèlement, le Maroc est devenu un partenaire essentiel de l’Union européenne dans la gestion des flux migratoires de l’Afrique vers l’Europe. En conséquence, le pays est devenu le lieu de résidence contraint et forcé pour de nombreux réfugiés et migrants tentant de se rendre en Europe, en particulier ceux d’Afrique subsaharienne, qui se retrouvent bloqués aux frontières à proximité de Ceuta et Melilla.[BB1]
Frontières et flux migratoires
Selon Hein De Haas, chercheur dans le domaine des migrations, la fermeture des frontières et l’instauration de visas n’ont aucune influence directe sur la baisse des flux migratoires[iii]. Même si ces politiques sont à même de réduire le nombre de migrants qui s’introduisent dans le pays, elles les encouragent à rester dans le pays où ils résident actuellement. Par ailleurs, le contrôle des frontières a tendance à créer une plus grande marge de manœuvre pour la migration clandestine et le trafic, exposant les migrants à de très grands risques. En conséquence, un grand nombre d’entre eux perdent la vie en quête d’un asile ou de meilleures conditions de vie ; à titre d’exemple, environ 1 000 personnes ont perdu la vie en mer Méditerranée pendant l’année 2017[iv].
La migration est un acte bénéfique pour les migrants sur le plan de l’amélioration de leur situation personnelle et familiale, elle profite également au pays d’accueil et au pays d’origine. Ces avantages incluent la croissance économique du pays d’accueil grâce aux contributions des migrants hautement et faiblement qualifiés ; les contributions nettes aux systèmes de protection sociale ; une augmentation du commerce et des investissements entre pays d’accueil et pays d’origine ; les transferts de fonds ; ainsi que les investissements effectués par les migrants de retour dans leur pays d’origine[v].
Mais ces avantages ne sont possibles que si les droits humains des migrants sont protégés en vertu de l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme[vi] et lorsque les migrants sont reconnus dans leurs pays de transit et d’accueil : en effet, l’exclusion des migrants crée de vives tensions pouvant conduire à des violences, un risque accru de sombrer dans la criminalité, ainsi qu’une augmentation des occurrences d’actes punissables par la loi dans les zones où les migrants évoluent[vii]. C’est pourquoi les organisations de la société civile (OSC) préconisent une réforme des lois migratoires, à la fois respectueuse des droits humains et des normes internationales[viii].
L’UE et le Maroc signent un partenariat sur les migrations et la mobilité
Le premier objectif du partenariat pour la mobilité de 2013 signé entre le Maroc et l’UE[ix] était de faciliter les flux des migrants entre les deux continents, ainsi que la délivrance de visas pour certaines catégories de personnes. Le deuxième objectif était d’informer les citoyens marocains sur les formes légales de migration et de soutenir l’intégration des migrants. Le troisième objectif consistait à lutter contre le trafic illicite et la traite des êtres humains. Il est donc d’une importance capitale de mettre en place au Maroc un système d’asile et de protection. Bien que le Maroc ait mis en œuvre sa stratégie nationale en matière d’immigration et d’asile et qu’il ait signé le Partenariat pour la mobilité, les préoccupations en matière de droits humains demeurent, le Maroc érigeant toujours en infraction toute tentative de sortie illégale du pays. Les autorités marocaines imposent également des peines de prison et des amendes aux travailleurs migrants illégaux sur son territoire en vertu de la Loi 02-03[x]. De nombreux migrants et réfugiés, y compris des mineurs, des femmes enceintes et des nouvelles mères, sont privés de leurs droits fondamentaux lorsqu’ils sont arrêtés aux frontières, et encourent une expulsion illégale.
Coopération entre la société civile marocaine et les dirigeants européens
Les organisations de la société civile marocaine souhaitent faire entendre leurs préoccupations et avoir plus d’influence sur les prises de décision aux échelons national et européen. La coopération entre la société civile et les gouvernements est primordiale pour pouvoir élaborer des lois inscrites en vertu des droits de la personne. Étant donné que les politiques migratoires européennes concernent également des États et des citoyens qui ne font pas partie de l’UE, il est essentiel de consulter les acteurs de la société civile de l’UE, afin de prendre en compte le plus de cas de migrants possible.
Au Maroc, plusieurs associations jouent un rôle décisif dans les questions migratoires, et nombre d’entre elles se concentrent sur les droits humains des migrants. Ces acteurs de la société civile souhaitent que leurs préoccupations soient entendues par les dirigeants marocains et européens, certains d’entre eux ayant formulé explicitement cet intérêt dans un papier de position[xi]. Si l’Europe souhaite continuer à soutenir une politique migratoire au Maroc fondée sur les droits de la personne, elle doit établir des canaux de communication directs avec la société civile marocaine, et ne pas traiter exclusivement avec le gouvernement.
Outre les dangers, parfois mortels, auxquels les migrants et les réfugiés sont confrontés lorsqu’ils tentent de franchir les frontières, ils sont également contraints de vivre des mois de précarité absolue dans les forêts situées à proximité de la frontière dans des conditions très insalubres et inhumaines[xii].
La société civile joue un rôle majeur dans la sensibilisation aux conditions des droits de la personne et au respect des droits des migrants et des réfugiés par le biais d’un travail et d’activités de plaidoyer auprès du Maroc et de l’UE. Ces activités de sensibilisation se manifestent surtout à travers l’art et la culture, à l’aide de divers vecteurs tels que le théâtre, les projections de films, les contes, des concerts et le partage d’expériences. Ces outils sont également utilisés pour répondre au fait qu’une grande partie de la société marocaine refuse encore la présence de migrants sur son sol, ce qui entraîne parfois des violences[xiii].
Les activités des organisations de la société civile souhaitent toucher et mobiliser le plus grand nombre possible de personnes grâce à des événements culturels, tels que le Festival de la scène migrante de Rabat, Africano Mohammedia et le Festival Rabat Africa. En outre, les OSC soutiennent activement l’intégration des migrants dans les universités, sur le marché du travail, et veillent aussi à résoudre les problèmes de logement et d’éducation des enfants. La société civile a également lancé des campagnes de mobilisation, telles que la campagne #Free_mandika en faveur d’une femme congolaise enceinte, détenue à l’aéroport et menacée d’expulsion en vertu de la Loi 02-03.
La société civile marocaine a déjà démontré sa capacité à contribuer aux prises de décisions nationales. Avant le lancement de la Stratégie nationale sur l’immigration et l’asile, les OSC ont été consultées sur l’élaboration des aspects relatifs aux droits de la personne. Elles ont également contribué à l’ajustement et à l’évaluation des politiques publiques et des lois relatives aux droits de la personne, aux migrations et à l’asile, en créant une Commission nationale de suivi et d’appel. Cette Commission assure le suivi de la campagne de régularisation, notamment lors de la campagne de la Stratégie nationale pour l’immigration et l’asile en 2013, ainsi qu’en effectuant des évaluations ponctuelles de ses progrès[xiv].
Beaucoup de changements dans la politique migratoire sont le fruit du travail acharné d’une société civile très active et mobilisée, comme le mentionne le rapport du Conseil national des droits humains (CNDH)[xv].
La société civile joue un rôle de médiateur social entre les migrants et les citoyens marocains et contribue à améliorer la législation nationale pour répondre aux besoins de sa population. Que ce soit dans les pays de transit comme le Maroc ou dans les pays de destination, la société civile affiche une vive ambition de jouer un rôle décisif lorsqu’elle est impliquée de façon pertinente et officielle dans les processus décisionnels. Le travail des OSC devrait être à la fois reconnu et peser dans la balance des négociations.
Recommandations
• Une plus grande implication de la société civile marocaine dans le processus décisionnel
Les OSC marocaines devraient être invitées et consultées par les dirigeants européens lorsque ces derniers décident des politiques migratoires impliquant le transit de personnes souhaitant se rendre en Europe via le Maroc. Cela permettra aux OSC marocaines de jouer le rôle actif de médiateur et d’exprimer les inquiétudes des migrants.
• Attribution aux ONG de moindre envergure au Maroc d’une partie de l’aide au développement
Une grande partie de l’aide au développement de l’Union européenne, et de l’Allemagne en particulier (à travers la Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit, l’agence de coopération internationale allemande pour le développement), se destine aux grandes institutions gouvernementales). Une partie de ces fonds devrait être réservée aux petites ONG marocaines pour les aider à coopérer avec les citoyens et les migrants afin de servir d’intermédiaires et rapprocher les deux parties. Cela leur permettrait de mieux informer, de coopérer avec les gouvernements dans l’élaboration des politiques et de créer un lien entre les gouvernements et les migrants.
• Révision du partenariat pour la mobilité conclu entre le Maroc et l’UE
Le partenariat devrait être revu et reposer sur une approche fondée sur les droits de la personne plutôt que sur des lois axées sur la sécurité frontalière. L’inclusion des acteurs de la société civile marocaine, en particulier ceux qui travaillent dans le domaine des droits de la personne, devrait être assurée.
[i] Missions et tâches, Frontex Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, < https://frontex.europa.eu/language/fr/> (consulté le 17 juin 2018).
[ii] 2017 Rapport de la Stratégie nationale de l’immigration et de l’asile par le Ministère en charge des migrations
[iii] Hein de Haas, « Myths of migration: Much of what we think we know is wrong » (Mythes sur les migrations : une grande partie de ce que nous pensons être vrai s’avère faux), 29 mars 2017 <http://heindehaas.blogspot.com/2017/03/myths-of-migration-much-of-what-…; (consulté le 17 juin 2018).
[iv] « Missing Migrants » (Migrants disparus), Organisation internationale pour les migrations
<https://missingmigrants.iom.int/region/mediterranean> (consulté le 17 juin 2018).
[v] Laura Thompson, « A World on the Move: The Benefits of Migration » (Un monde en mouvement : les avantages de la migration) discours prononcé à Bruxelles, Organisation internationale pour les migrations, 25 septembre 2014 <https://www.iom.int/speeches-and-talks/world-move-benefits-migration> (consulté le 17 juin 2018).
[vi] Déclaration universelle des droits de l’homme, Nations Unies < http://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/index.html > (consulté le 17 juin 2018).
[vii] Droits, groupes et discrimination, GSDRC Applied Knowledge Services <http://gsdrc.org/topic-guides/human-rights/rights-groups-and-discrimina…; (consulté le 17 juin, 2018).
[viii] Nadia Lamlili, “Mehdi Alioua: « Le Maroc doit réformer la loi sur la migration pour la rendre plus humaine »,” Jeune Afrique, 14 décembre, 2016 <http://www.jeuneafrique.com/383584/societe/mehdi-alioua-maroc-reformer-…; (consulté le 17 juin 2018)
[ix] L’UE et le Maroc signent un partenariat pour gérer la migration et la mobilité, Commission européenne, Base de données des communiqués de presse, 7 juin, 2013 < http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-513_fr.htm > (consulté le 17 juin 2018).
[x] Loi 02-03 sur l’entrée et le séjour des étrangers au Royaume du Maroc, sur l’émigration et la migration clandestine. <http://www.gadem-asso.org/wp-content/uploads/2016/05/Loi_02-03.pdf> (consulté le 17 juin 2018).
[xi] Énoncé de position : pour un soutien de l’Union Européenne et de ses États-membres à une approche des migrant(e)s et des refugié(e)s au Maroc Rationnelle, Humaine et basée sur le Droit : https://ma.boell.org/sites/default/files/uploads/2018//papier_de_positi…
[xii] Plateforme Nationale Protection Migrants, « Contribution de la société civile dans le cadre de l’Examen Périodique Universel du Maroc - Mai 2017 » <http://www.pnpm.ma/wp-content/uploads/2017/03/EPU-Maroc-2017-contributi…; (consulté le 10 juillet 2018).
[xiii] Nouhad Fathi, « « Du racisme décomplexé sur le web marocain, La Dépêche, 21 mars 2018 <https://ladepeche.ma/racisme-decomplexe-web-marocain/> (consulté le 17 juin 2018).
[xiv] Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants (GADEM) et le Mouvement mondial des droits humain (FIDH), Rapport FIDH et GADEM : « Maroc : entre rafles et régularisations, bilan d’une politique migratoire indécise », mars 2015 <http://www.gadem-asso.org/rapport-fidh-et-gadem-maroc-entre-rafles-et-r…; (consulté le 10 juillet 2018).
[xv] Conseil national des droits de l'homme (CNDH), « Étrangers et droits de l’Homme au Maroc : pour une politique d’asile et d’immigration radicalement nouvelle » <http://www.amb-maroc.fr/Dossiers/Conclusions_et_recommandations_def-2-2…; (consulté le 17 juin 2018).
xvii Heinrich Böll Stiftung, « EU and German external migration policies: The case of Morocco » (Politiques de migration extérieure de l’UE et de l’Allemagne : Le cas du Maroc), 19 mars 2018 <https://ma.boell.org/fr/2018/03/19/eu-and-german-external-migration-pol…; (consulté le 10 juillet 2018).