PROMULGUER UNE LOI NE SUFFIT PAS PARFOIS...

Graphiques - Consommation annuelle des sacs plastiques en 2015

Le Maroc a acquis l’image d’un pays fortement investi sur la voie du développement durable, grâce aux investissements réalisés en matière d’énergies renouvelables et à l’organisation de la COP22 en 2016. Dans ce sens, le Maroc a aussi adopté une loi en matière de lutte contre la pollution plastique : depuis le 1er juillet 2016, la loi 77-15 (appelée communément loi Zéro Mika) interdit de produire, importer, vendre ou distribuer des sacs plastiques à usage unique. Depuis la promulgation de cette loi, la réalité du terrain montre qu’il faut bien plus qu’une loi pour éliminer les sacs plastiques, surtout dans un pays qui était en 2015 le second consommateur mondial de sacs plastiques par habitants.

A la veille de l’entrée en vigueur de la loi Zéro Mika, les communiqués du Ministère de l’Industrie faisaient état de 26 milliards de sacs plastiques consommés annuellement au Maroc, soit 800 sacs par habitant. Les sacs plastiques servaient, et servent souvent encore, à tous types d’usages : pour acheter des légumes, du petit lait (Lben) ou 200g d’olives, pour jeter les ordures ou même pour recouvrir les anciennes antennes afin, supposément, de mieux capter la télévision.

Dans ce contexte, la loi 77-15 a été votée en décembre 2015, annonçant une interdiction totale des sacs plastiques à peine 7 mois plus tard, le 1er juillet 2016. Le vote de cette loi a provoqué une forte résistance du secteur de la plasturgie, et une incrédulité des citoyens qui ont perçu cette interdiction comme une contrainte de plus s’ajoutant à leur quotidien. De fait, d’autres pays ayant instauré des lois moins contraignantes, en Europe notamment, ont annoncé l’entrée en vigueur de telles interdictions au moins 2 ans à l’avance afin de préparer l’opinion publique et de permettre une transition en douceur pour l’industrie.

Une campagne nationale de communication d’une durée d’un mois et demi, a été lancée en juin 2016, quelques semaines à peine avant l’interdiction. La nouvelle loi a aussi été accompagnée d’une campagne nationale de ramassage des sacs plastiques, portée par la Coalition Marocaine pour la Justice Climatique (regroupant près de 150 ONG) avec l’appui des autorités. L’essentiel des sacs collectés a été brûlé dans les fours de cimenterie ou mis en décharge. Jusqu’à la fin de l’année 2016, la presse faisait aussi régulièrement état de contrôles effectués sur les marchés par les autorités et de saisies de stocks illégaux. Le Maroc a été applaudi pour ses efforts et les visiteurs de la COP22 ont apprécié la propreté de nos villes et de nos campagnes. En janvier 2017, le ministre de l’industrie dressait un bilan positif en affirmant que « depuis l’entrée en vigueur de la loi, l‘utilisation des sacs plastiques a été considérablement réduite : elle est quasiment éradiquée dans le commerce moderne et le recours aux produits alternatifs a connu une hausse remarquable au niveau des commerces de proximité ».

En parallèle de cette ’interdiction, quelques alternatives ont été promues. Un fonds d’aide pour la reconversion des entreprises a subventionné, à hauteur de 75,5 millions de dirhams, la production de sacs en papier, de sacs tissés et de sacs non-tissés. Ces alternatives sont dites « écologiques », alors que la majorité d’entre elles sont en plastique. Les sacs non-tissés notamment sont à 100% en plastique, faits d’un textile en polypropylène et communément appelés « sacs en tissu ». Ils étaient vendus au début par les commerçants, mais face à l’insistance de la clientèle ils sont désormais donnés gratuitement et sont devenus tout aussi jetables que les sacs plastiques qui les précédaient. Plus de 3 milliards de sacs non-tissés sont produits annuellement au Maroc. 40% des financements du fonds d’aide à la reconversion des entreprises ont concerné la production de sacs nontissés et leur production a augmenté de 56% depuis 2016 .

Dans les faits, l’interdiction des sacs plastiques a surtout été effective dans les grandes surfaces. Dès le début de l’année 2017 les sacs plastiques sont progressivement réapparus sur les marchés et dans les petits commerces, qui représentent 80% du commerce de détail au Maroc. En juillet 2018, pour les 2 ans de la loi Zéro Mika, une enquête menée par l’association Zero Zbel est venue confirmer ce constat. Conduite sur 10 marchés à Casablanca, Agadir et Tétouan, cette enquête a montré que les clients sur les marchés consommaient encore de grandes quantités de sacs plastiques illégaux, et que les commerçants préféraient s’exposer à des amendes plutôt que de risquer de perdre leur clientèle s’ils ne distribuent plus de sacs. La principale conclusion de cette enquête a été que l’effort de contrôle et de sanction devait se concentrer sur le secteur informel de production de sacs plastiques qui inonde à nouveau les marchés marocains, et non sur les petits commerçants situés en aval de la chaine de valeur.

Dans les jours qui ont suivi la publication des résultats de l’enquête, le Ministère de l’Industrie réagissait positivement en annonçant un projet de modification de la loi 77-15, qui a été adopté en conseil de gouvernement en janvier 2019 (projet de loi 57-18). Cet amendement a notamment renforcé le contrôle sur les fabricants, la transparence concernant l’importation de matières pouvant servir à produire des sacs plastiques, ainsi que les sanctions encourues.

Malgré ces mesures, les sacs plastiques persistent. Ceci montre clairement que la précipitation qui a marqué l’entrée en vigueur de l’interdiction a miné dès le départ, et continue de limiter, l’efficacité de la loi. Une prise de décision plus participative, un délai de préparation plus long et un effort plus conséquent de préparation des citoyens auraient sûrement permis une interdiction beaucoup plus efficiente. Le choix de promouvoir des alternatives en polypropylène limite aussi fortement le potentiel de réduction de la pollution plastique, qui reste présente sous des formes différentes. Entre les paniers en osiers, les sacs en tissus, les contenants réutilisables rigides, les bocaux en verre… les vraies alternatives ne manquent pas et sont peu couteuses. Il serait bon de déployer des moyens efficaces et ingénieux pour les promouvoir au lieu de continuer à subventionner des alternatives qui restent tout de même dans leur grande majorité…en plastique.

Résultats de l'enquête menée par l'association Zero Zbel sur l'application de la loi 77-15