Et si on débranchait tout ?

Éteindre les lumières pour éveiller les consciences : c'est le principe de « Unplug », une campagne d’information digitale déployée sur dix semaines pour promouvoir l’efficacité énergétique. L’objectif est de réduire le fossé qui sépare les initiatives de l’Etat kenyan en matière de lutte contre le réchauffement climatique et les habitudes de la population.
 

Unplug

Les grands succès reposent sur de petites actions. C’est l’idée de base de l’opération Unplug lancée en février 2020 par l’Institut Africain des Ressources et des Capacités de développement (ADRECI), en partenariat avec la Fondation Heinrich Böll. Faisant référence à l’acte de débrancher un appareil électrique, cette campagne digitale visait à promouvoir le concept d’efficacité énergétique, aussi bien dans le milieu du travail  qu’à la maison. Déployée sur dix semaines, elle consistait dans un premier temps à cibler des publics aux préoccupations souvent opposées, pour ensuite favoriser une prise de conscience des enjeux climatiques et environnementaux, afin de modifier durablement le comportement de chacun. « Nous avons sélectionné le public en nous basant sur une étude menée dans le cadre d’un atelier d’information qui a eu lieu à Nairobi en octobre 2019 », précise Martin Brown Munene de l’ADRECI. S’ils fréquentent tous les réseaux sociaux, les publics ciblés ont bien souvent des attentes différentes. Les consommateurs domestiques entre 10 et 25 ans se préoccupent peu des dépenses alors que les dirigeants d’entreprise de 25 à 50 ans adossent leur stratégie économique et commerciale à des impératifs financiers. Le souci de réduire les coûts énergétiques est plus fréquent chez les chefs d'entreprise entre 20 et 40 ans, tandis que les employés entre 25 et 50 ans privilégient la sécurité de l’emploi. Quant aux chefs de famille, entre 25 et 60 ans, ils sont bien souvent tiraillés entre la maîtrise des dépenses et le souci de laisser à leurs enfants un monde meilleur. L’urgence de modifier les modes de consommation énergétique et les pratiques quotidiennes de façon durable  s’impose d’autant plus que l’électricité reste la source d’énergie la plus utilisée pour les tâches domestiques. C'est aussi la plus coûteuse. Si le public se sent concerné par la pollution de l’environnement, l’augmentation de la facture énergétique ou l’épuisement des ressources énergétiques non renouvelables, seuls 10% des Kenyans disent rechercher des solutions pour résoudre leurs problèmes énergétiques.

Véhiculée sur le web et les réseaux sociaux, la campagne Unplug reposait sur des messages incitatifs simplifiés. Accompagnés de pictogrammes aisément compréhensibles, ils mettaient l’accent sur les avantages de l’efficacité énergétique : faire des économies tout en préservant la planète et la santé de tous. Martin Brown  Munene insiste sur l’impact de ces petites actions telles qu’« éteindre les lumières lorsque l’on quitte une pièce, débrancher des appareils comme les ordinateurs, les téléviseurs ou les téléphones lorsqu’ils ne sont pas utilisés ou lorsqu’ils sont complètement chargés, éteindre les lumières quand on se couche, etc. ». Le geste le plus anodin peut toujours avoir des répercussions à plus ou moins long terme. La signalétique des petites actions (« The Little Action Symbols ») s’est accompagnée d’une initiative digitale à destination des plus jeunes, « The Little Action Champions », qui les incitait à relever des défis environnementaux simples. Le tout accompagné d’une analyse en temps réel des réactions des différents publics visés. « Nous comptions atteindre 500 000 personnes et nous en avons touché environ 300 000 à ce jour. Nous allons donc amplifier notre campagne à l’automne 2020 », annonce Martin Brown Munene.

Au Kenya, où 30% de la population a accès à l’électricité et 68% de la consommation énergétique reste assurée par la biomasse (comme la combustion de bois), l’Etat ne ménage pas ses efforts pour réduire les coûts la facture énergétique et les émissions de gaz à effet de serre. S’inscrivant dans le plan de développement Kenya Vision 2030 adopté en 2008, qui vise à offrir aux citoyens un niveau de vie élevé dans un environnement sain, prospère et pérenne, une politique incitative est activement  menée. Les particuliers sont encouragés à adopter des ampoules LED ou des appareils électroménagers et électroniques peu énergivores. Une réglementation de l’Autorité de régulation de l’énergie et du pétrole (EPRA), notamment, exige l’installation de chauffe-eau solaire dans le cas d’une consommation dépassant 100 litres d’eau par jour. De même, une action conjointe avec la Société d’électricité et d’éclairage kenyane (KPLC) a permis de tripler en trois ans le nombre d’ampoules à économie d’énergie distribuées par l’État, passant de 1,25 million en 2010 à 3,3 millions en 2013. L’importation d’équipements et d’appareils dépourvus d'étiquettes énergétiques a également été stoppée. Le gouvernement kenyan multiplie par ailleurs les partenariats avec des institutions publiques ou privées afin de renforcer la sensibilisation aux enjeux de l’efficacité énergétique. En partenariat avec la Commission de régulation de l’énergie et le Programme collaboratif d’étiquetage et de normalisation (CLASP), le ministère de l’Énergie a lancé une campagne sur les normes minimales de performance énergétique afin de sensibiliser les distributeurs d’appareils. Un autre partenariat entre le ministère et l’Association kenyane des fabricants (KAM) a donné naissance en 2006 au Centre pour la conservation et l’efficacité énergétique (CEEC), qui aide les entreprises à identifier les processus de gaspillage d’énergie et les potentielles économies à réaliser. Cette initiative aurait permis d’économiser, sur les douze dernières années, pas moins de 12 milliards de KES (shilling kenyan), soit environ 1 milliard de dirhams. Enfin, le projet de relance du secteur énergétique prévoit un renforcement et une mise à niveau du système de distribution électrique qui a permis d’étendre le réseau basse tension à un plus grand nombre de foyers. Pour autant, les obstacles à surmonter restent nombreux.

À commencer par la précarité énergétique qui concerne ceux qui n’ont pas accès aux sources d’énergie, ou alors seulement les plus polluantes, et pâtissent d’une facture élevée qui ne fait qu’aggraver leur précarité. Non seulement cela a des répercussions sur leur alimentation et leur santé, mais cela accentue la vulnérabilité de la population entière face aux changements climatiques puisque cela contribue à maintenir un taux élevé d’émissions de gaz à effet de serre. Les actions gouvernementales se heurtent surtout à l’argument financier : adopter des appareils ménagers plus économes, par exemple, suppose un investissement qui ralentit le passage à l’acte. Pour y remédier, des incitations fiscales vertes pourraient être mises en place. Un autre frein à l’efficacité énergétique réside dans le manque de coordination entre les différentes parties prenantes et la faible degré de conscience de la population. L’idéal serait de mettre en place une instance qui coordonnerait, dans le cadre notamment du New Energy Act voté en 2019, les différentes activités relatives à ce domaine. Subventionner les audits énergétiques obligatoires, en particulier pour les grands projets résidentiels, renforcer la mission des agences d’exécution du MEPS (normes minimales de performance énergétique) et soutenir les activités de recherche et développement seraient un puissant levier pour atteindre les objectifs recherchés.