Le Carrefour de la Migration 2021, comme à son accoutumée, n’a pas dérogé à sa sacro-sainte règle de ne pas se dérouler comme une conférence typique et classique.
Le Carrefour de la Migration 2021, comme à son accoutumée, n’a pas dérogé à sa sacro-sainte règle de ne pas se dérouler comme une conférence typique et classique. Bien qu’en invitant des figures clés de la migration, elle a tenu sa promesse d’être un espace ouvert d’échanges entre différents acteurs/rices des sphères étatiques et des personnes migrantes elles-mêmes, en faisant un détour via les militant.es de la société civile et les chercheurs universitaires de tous bords.
Les deux panels de discussion bien que tenus en distanciel les 25 et 26 novembre 2021 sur la plateforme Zoom, n’ont pas réussi à refroidi ni à amoindrir la vivacité et la pertinence des échanges de nos intervenant.es. Il a été tour à tour question de répondre à la cruciale question de savoir : qui fixe réellement l’agenda dans la relation entretenue entre la société civile et les bailleurs de fonds étrangers ? M. Rachid Badouli, directeur des stratégies et du développement de la Fondation Orient Occident est revenu sur la question fondamentale de l’évaluation de l’impact des programmes mis en place et du décalage fréquent qui existe entre une société civile plus proche des réalités du terrain et des bailleurs de fonds qui dressent souvent des agendas et des axes prioritaires souvent loin des besoins réels des bénéficiaires.
D’autre part Madame Ana Polanco Porras, experte en Coopération Technique a dressé le rôle capital d’une agence de coopération technique belge telle que Enabel qui met en place des mécanismes agiles de consultations au niveau de la formulation de ses différents programmes en concertation avec leurs partenaires institutionnels et les acteurs clés de la société civile.
Dans ce panel du Carrefour se sont également croisés les personnes migrantes et leurs représentants associatifs qui n’ont pas été en reste lors des échanges et qui se sont exprimés sur ce sujet en la voix de M. Franck Iyanga, Secrétaire général de l’ODT-I qui affirme que : « La main qui donne est souvent la main qui domine ».
Au niveau des pistes de réflexions suggérées par le modérateur M. Salaheddine Lemaizi, Madame Sara Prestianni responsable de programme Migration et Asile d’EuroMed Droits a invoqué la nécessité pour les ONG marocaines d’adopter une approche régionale et de développer des stratégies d’échanges de bonnes pratiques avec la société civile du Maghreb et de tisser un dialogue continu avec les associations des pays européens.
Par ailleurs, une vision similaire a été évoquée dans le second panel par M. Omar Naji de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme qui préconisait d’apprendre par exemple des bonnes pratiques de la société civile tunisienne et d’arriver à un dialogue essentiel sur la question migratoire qui inclurait l’UE comme interlocuteur de premier plan avec les structures étatiques marocaines et la société civile qui comprend naturellement les associations de migrants.
En effet, la deuxième journée du Carrefour a fait le zoom sur les opportunités que présente la mise en place d’un pacte tripartite entre les migrant.e.s, la société civile et l'Etat dans le contexte local. Madame Helene Yamta, présidente de l’association Voix des Femmes Migrantes au Maroc a soulevé l’importance de revenir à un mécanisme de concertation périodique comme avant 2016 pour arriver à mettre en place un agenda commun entre ces trois entités.
Du coté des chercheurs et des universitaires, M. Thomas Spijkerboer professeur de droit des migrations à l’Université Vrije d’Amsterdam a préconisé de décoloniser les savoirs et de financer des projets de recherches indépendants sur la migration en Afrique et au Moyen Orient. Aussi, Monsieur Ezzine Abdelfattah, professeur et chercheur à l’IURS de l’Université Mohammed V de Rabat, a abondé dans un sens similaire et a demandé à la société civile de « regarder entre africains » et de capitaliser sur les instruments afro-africains déjà mis en place pour que la diaspora africaine qui vit sur le continent soit le réel moteur pour son développement.
Egalement, des pratiques efficientes d’autres pays du Sud ont été ramenées à ce rendez-vous dans les bagages de nos panélistes et de divers autres participants aux discussions. M. Parfait Ishungure, acteur associatif rwandais a brossé l’expérience de la société civile de son pays sur la question et a appelé les associations marocaines à s’allier à celles du sud du Sahara pour mieux défendre leurs causes communes.
Sur un autre volet, le Carrefour de la Migration de cette année a voulu apporter une nouveauté dans sa programmation en mettant en lumière diverses créations et parcours littéraires portant sur la migration. Ainsi, a eu lieu dans la fin de la journée du vendredi 25 novembre une rencontre littéraire avec l’écrivaine Aminata Pagni de nationalité ivoirienne et l’auteur mauritanien Cheikhna Aliou Diagana, en live sur la page facebook de la fondation Heinrich Boll Rabat. Aminata Pagni a présenté son œuvre ’’Impossible de rester´’, paru en 2019 qui retrace les périples de Aram, une jeune ivoirienne qui, après la mort de son père, se lance en quête d'une nouvelle vie et d'un ailleurs qu'elle espère meilleur. De son côté, Cheikhna Aliou Diagana a raconté les aventures rocambolesques de Roméo et ses compagnons de route en transit au Maroc pour tenter de rejoindre l'Europe via l'enclave espagnole de Melilla dans son tout nouveau roman « Le triple saut vers Melilla: Du Maroc à l'Espagne’’.
Par ailleurs, un des moments forts de ce Carrefour de la migration 2021, marqué par les restrictions sanitaires liées au Covid19, aura été les activités tenues en présentiel. Ainsi, deux workshops ont pu être mis en place dans la matinée du samedi 27 novembre à la Fondation Orient Occident (FOO) de Rabat. Ces ateliers de réflexion internes portant sur les possibilités et les limites du travail de la société civile dans le domaine de la migration au Maroc ont connu la participation d’une vingtaine d’associations actives dans le domaine. Ces deux workshops ont été facilités d’un coté par Hicham Rachidi, spécialistes des questions migratoires et de la société civile et de l’autre par Aida Kheireddine consultante en développement social.
En fin de parcours de ce rendez-vous annuel du donner et du recevoir qu’est le Carrefour de la Migration, le rideau est tombé sur nos intervenants qui ont su jonglé tout au long de leurs cheminements avec les sages orientations de top départ données par la professeure Ndioro Ndiaye, actuelle présidente de l’Alliance pour la Migration, le Leadership et le Développement lors de son discours inaugural de l’évènement prononcé sur la page facebook de la fondation Heinrich Böll Rabat et qui soulignait : ’’ le rôle de premier plan que jouent les organisations de la société civile au niveau de la gouvernance de la migration internationale et l’expérience des OSC marocaines dans le domaine’’.