Entre camps et caravanes : Cartographier les mobilités des personnes migrantes « sans papier » au Maroc

Entre camps et caravanes : Cartographier les mobilités des personnes migrantes « sans papier » au Maroc

A en croire le débat médiatisé sur les mobilités humaines, l’Afrique serait entrain de se vider de sa population à couts de torrents –ou de « Pateras »- dirigés vers l’Europe(1).  Les pays européens auraient trouvé la solution pour réduire les flots et qui consiste à payer : en investissements pour réduire la pauvreté et la violence, et en aides pour renforcer les cloisons en fils barbelés.

Pays d'émigration depuis toujours, le Maroc serait devenu l’une des principales portes d’entrée du continent européen dans la région du Maghreb, mais également une terre d'accueil pour un nombre croissant de personnes migrantes, réfugiées et ou demandeuses d'asile(2).

Cependant, peu d’informations sont disponibles sur la situation individuelle des migrant.e.s, leurs conditions de vie, et leur constante mobilité  à l’intérieur du Maroc – cela est particulièrement vrai pour les migrant.e.s en situation irrégulière. Le durcissement des mesures sécuritaires au niveau des frontières sud de l’Europe – notamment sur la route centrale entre la Lybie et l’Italie – , fait que de plus en plus de migrant.e.s se sont dirigés vers le Maroc en 2018 cherchant un passage à l’Espagne. Due à la protection des frontières qui est constamment approfondi à travers la coopération sécuritaire entre l’UE et le Maroc, plusieurs personnes se retrouvent piégées, et vivent dans des conditions de subsistance inhumaines et de grande précarité, notamment lorsqu’elles n’ont pas –volontairement ou involontairement- profité des campagnes de régularisation lancées par le gouvernement marocain.

Dans ce travail intitulé « Entre camps et caravanes : Cartographier les mobilités des personnes migrantes ‘sans papier’ au Maroc », nous nous sommes intéressés aux conditions dans lesquelles vivent les personnes migrantes subsahariennes dites « sans papier » et aux facteurs de leurs mobilités sur le territoire marocain. Cette carte interactive a pour objectif d’approcher le processus migratoire des migrant.e.s subsaharien.ne.s au Maroc, en dressant la réalité des dynamiques de mobilité et d’immobilité des migrant.e.s au Maroc. A travers cette enquête exploratoire, la fondation Heinrich Böll aspire à contribuer à un débat politique, en Europe et au Maroc, qui se focalise sur les droits fondamentaux des migrant.e.s et refugié.e.s.

 

L’approche et ses limites

L’enquête que nous avons réalisée entre Juin et Septembre 2018, sous la direction de Youssef Raissouni, doctorant chercheur à l’Institut des études africaines de l’université Mohammed V Rabat, s’est focalisée sur 5 régions/axes du Maroc. Elles sont supposées être les zones les plus fréquentées par les migrant.e.s subsaharien.ne.s durant leur voyage. Les axes concernés sont : Tiznit/Agadir ; Rabat /Casablanca ; Fès/Meknès ; Nador/Oujda et Tanger/Tétouan.

Des entretiens semi-directifs ont été utilisés pour récolter des données sur les réalités que vivent les migrant.e.s subsaharien.ne.s se trouvant en situation administrative irrégulière au Maroc : autrement dit, les personnes qui sont rentrées au Maroc d’une manière irrégulière et qui n’ont pas profité des deux (2) campagnes de régularisation lancées en 2014 puis en 2018, et les personnes rentrées d’une façon régulière, ayant épuisé leur titre de séjour légal et qui restent toujours dans le pays – par choix ou se trouvant en situation de transit. Au total, 76 personnes migrantes ont été interviewées.

Étant donné que cette population tente de se rendre la moins visible possible pour des raisons de sécurité, nous avons identifié ces personnes d'une manière pragmatique, avec l’aide précieuse d’activistes et militant.e.s de terrain qui connaissent les réalités des conditions de vie des migrant.e.s subsaharien.ne.s. Nous remercions tout particulièrement les sections de l’Association Marocaine des Droits Humains à Nador et à Oujda, Alarme Phone, Caritas, la section de l’Organisation Marocaine des Droits Humains à Oujda, ainsi que le Haut Commissariat au Réfugiés à Tanger et à Oujda.

En raison des risques potentiels liés à l’accès aux terrains ciblés, il a été délibérément choisi de collaborer avec une équipe de chercheurs de sexe masculin. Les aspects et les perspectives de genre ont été intégrés dans le questionnaire et la méthodologie, mais dans de telles conditions, il s'est avéré difficile de produire des données quantitatives sexo-spécifiques. Si la carte mentionne effectivement ces difficultés, nous reconnaissons les risques et les expériences vécues par les femmes et les personnes aux sexualités et aux identités non conformes rencontrées dans le cadre de ce travail de terrain.

Enfin, ce travail ne prétend être ni complet ni exhaustif. La carte interactive espère nous donner un aperçu de la vie des personnes migrantes en situation irrégulière au Maroc et nous aider, tant que faire se peut, à nous rapprocher de leurs réalités.

 


Les résultats et l’outil

Le motif économique reste l’élément le plus important (80%) qui pousse les migrant.e.s subsaharien.ne.s à quitter leurs pays, à la recherche de possibilité de travail et de stabilité, d’amélioration de leurs conditions de vie et celles de leurs familles.

Outre les motifs d’immigration, le travail de terrain s’est intéressé aux itinéraires migratoires, aux conditions de voyage et au processus de mobilité en s’appuyant sur les témoignages et récits de vie des personnes migrantes.

La plupart des migrant.e.s interviewvé.e.s se trouvent dans des conditions précaires, où l’accès aux services  de bases reste conditionné par la disponibilité des aides caritatives et sociales. L’accès au travail reste très difficile pour ces personnes, en raison des démarches administratives complexes et lourdes mais aussi de la discrimination et du racisme. L’accès au logement décent reste une des grandes problématiques, au vu des disparités énormes qui existent entre les villes et les périphéries ainsi que les différents campements que nous avons essayé de cartographier(3).

La carte interactive distingue entre deux types de mobilité. Les mobilités volontaires font référence aux déplacements des migrant.e.s vers les principales villes frontalières au Maroc et qui constituent un point de passage essentiel vers l’Espagne. Il s’agit de Nador, ville frontalière avec Melilla, Tanger étant la ville la plus proche des côtes espagnoles et Fnideq, ville frontalière avec Ceuta.

Les mobilités forcées englobent les déplacements qui visent l’éloignement des migrant.e.s des villes portuaires dans le cadre d’opérations d’éloignement opérées par les autorités marocaines. Ces trajets vont généralement du nord vers le sud.

L’enquête identifie également des zones de concentration urbaines ou des campements qui constituent des points de passage incontournables pour les migrant.e.s subsaharien.ne.s, et qui sont constamment sous surveillance des autorités. Dans les villes plus au sud, nous identifions également des zones d’éloignement.

Au final, cinq grandes étapes de l’itinéraire ont pu être dégagées, et qui reflètent les dynamiques de mobilité de nombreux migrant.e.s : l’arrivée au Maroc, principalement par voie terrestre via Oujda ; l’arrivée dans les grandes villes (Casablanca, Rabat et Oujda) ; l’arrivée aux villes portes de l’Europe (Tanger et Nador) ; les rafles, les arrestations et les détentions ; et enfin, l’expulsion vers les zones d’éloignement (Meknes, Fez, Rachidia, Beni Mellal, Tiznit). L’itinéraire ne s’arrête pas là. Plusieurs personnes migrantes éloignées choisissent de reprendre la route vers le nord la nuit suivantes, à pied ou en bus pour les plus chanceux.ses.

La carte interactive permet de suivre ce parcours en cliquant sur les chiffres correspondant à ces étapes, sur la barre en bas à gauche. Les flèches qui représentent les itinéraires permettent de lire les témoignages, souvent durs, de personnes que nous avons rencontrées. Pour des raisons de confidentialité, leurs noms resteront anonymes. Les points et les triangles représentent les points de concentration et les villes d’éloignement. Enfin, les données dégagées par l’enquête de terrain sont regroupées dans une rubrique séparée.

 

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(1) « Not always on a boat to Europe : Movements of Africans within and beyond the continent » Perspectives Africa Heinrich Böll Stiftung. Issue 2 October 2018.

(2) Voir « Maroc : entre rafles et régularisations, bilan d’une politique migratoire indécise », FIDH et GADEM, 30/03/2015. Disponible ici

(3) Voir: https://www.iom.int/fr/news/mediterranee-occidentale-pres-de-la-moitie-des-migrants-recemment-arrives-en-espagne-font-etat

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Direction de l'enquête

Youssef Raissouni

 

Edition

Hiba El Khamal

Ayoub Boudad

 

Avec la collaboration de

Issam Benkarroum

Alpha Camara

Younes Bensaid

 

Photographie

Naji Tbel

 

Développement

MapLab

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