
Dans une vallée verdoyante et sereine du sud du Maroc vit Monsieur Ahmed, un homme âgé de soixante-dix ans. Chaque jour, il se consacre à sa ferme, un véritable havre de paix hérité de ses ancêtres. Ce lieu est le reflet de l’amour et du dévouement qu’il porte à la terre : chaque arbre, chaque champ témoigne de son travail acharné, symbolisant une vie entière de labeur et de respect profond pour la nature.
Un matin de printemps, le calme de la vallée est troublé par l’arrivée d’une équipe de tournage nationale. Attirés par la beauté authentique du lieu, les cinéastes choisissent la ferme de Monsieur Ahmed comme décor principal de leur prochain film. Ils promettent des retombées économiques importantes et une visibilité internationale, séduisant ainsi la communauté locale. Mais derrière ces promesses alléchantes, une autre réalité se profile.
Sans consultation préalable avec Monsieur Ahmed ni avec les autres villageois, l’équipe de tournage s’installe, transformant la ferme paisible en un véritable chantier. Quelques jours plus tôt, un représentant de la production s’est présenté au village, promettant des retombées économiques pour la communauté en échange de leur hospitalité. Persuadé que cela apporterait des bénéfices à son village, Monsieur Ahmed, avec son sens de l’hospitalité et sa confiance en la parole donnée, a accepté, sans vraiment comprendre l’ampleur des conséquences. Il pensait que ce tournage n’affecterait pas trop son quotidien, ni celui de ses terres. Mais très vite, des camions, des tracteurs et du matériel lourd envahissent les lieux, bouleversant l’harmonie fragile de cet écosystème.
Les champs, soigneusement cultivés par Monsieur Ahmed pendant des décennies, sont ravagés par les engins. Les arbres qu’il a plantés de ses propres mains, les cultures qu’il a entretenues avec amour et patience, sont détruits sous ses yeux, réduits en poussière par des machines aveugles à la beauté du lieu.
Jour après jour, Monsieur Ahmed est témoin de la dégradation de sa terre. Sa douleur va bien au-delà des pertes matérielles ; c’est tout un héritage familial qui s’effondre. Chaque matin, il se réveille avec l’espoir que ce cauchemar prenne fin, mais la réalité le rattrape : sa ferme, autrefois un symbole de prospérité et de vie, est désormais un champ de ruines. Les clôtures sont abattues, les cultures irrécupérables, et les chemins d’accès si endommagés qu’ils compliquent le transport des produits agricoles, entravant l’économie locale.
Quand le tournage s’achève, l’équipe de production quitte les lieux sans un regard en arrière, laissant derrière elle un paysage dévasté. Monsieur Ahmed se tient au milieu de ce désastre, les larmes aux yeux, murmurant avec une tristesse infinie : « Hasbouna Allah wa niama lwakil. » Sa ferme, son refuge, son foyer, ne sont plus qu’un souvenir ravagé.
Ce qui fait le plus mal à Monsieur Ahmed, c’est la destruction de ses souvenirs. Chaque coin de la ferme porte les traces d’une histoire familiale riche et vibrante. Les champs de blé, autrefois une mer dorée sous le soleil, sont maintenant stériles. Ces champs ont vu courir ses enfants, ont été témoins des rires et des jeux qui animaient autrefois la vie quotidienne de la famille. Chaque récolte était une célébration, un moment de rassemblement où les générations travaillaient côte à côte, partageant le fruit de leurs efforts. Désormais, tout ce qui reste, c’est un sol piétiné et un silence lourd de tristesse.
La maison elle-même, bâtie de ses mains avec des pierres locales et du mortier, n’est plus le sanctuaire qu’elle était. Chaque mur, chaque pièce racontait une histoire : les repas partagés autour de la grande table en bois, les soirées passées à écouter des contes traditionnels sous le ciel étoilé, les fêtes de l’Aïd célébrées en famille et avec les voisins. Aujourd’hui, ces souvenirs semblent effacés, étouffés par la poussière et les saletés accumulées par le va-et-vient incessant de l’équipe de tournage. Les pièces sont envahies de matériel, le sol marqué par les passages lourds, et l’odeur de la terre et des récoltes a laissé place au bruit des machines. L’équipe de tournage, tout occupée à son film, n’a pas su voir ce qui était beau et précieux aux yeux de Monsieur Ahmed.
Cette tragédie est un rappel poignant que ces lieux ne sont pas de simples décors à exploiter, mais des viviers de vie, d’histoire et de culture profondément enracinés dans le quotidien des habitants. Les terres de Monsieur Ahmed, comme tant d'autres dans le pays, sont bien plus que des paysages à capturer sur pellicule. Elles représentent l’héritage d'une génération, une mémoire vivante et un équilibre fragile entre l’homme et la nature. Le drame de Monsieur Ahmed n’est pas un cas isolé ; il met en lumière les risques encourus par de nombreuses communautés rurales lorsque l’industrie cinématographique, en plein essor au Maroc, intervient sans un cadre de protection adéquat.
Il est impératif que des règles strictes et rigoureusement appliquées soient mises en place pour encadrer les activités de tournage, afin de préserver l'intégrité des territoires et le bien-être des populations locales. Le Centre cinématographique marocain (CCM), en tant qu'institution chargée de réguler et de promouvoir le secteur, doit prendre une part active dans cette mission. Certes, l'industrie cinématographique est une force économique et culturelle majeure pour le pays, mais cette expansion ne peut se faire au détriment des communautés locales.
Les chiffres révèlent d’ailleurs une croissance notable : en 2022, le CCM a délivré 83 autorisations d’exercice, contre 65 en 2021, et 41 agréments définitifs et provisoires. Bien que ces chiffres témoignent d’une dynamique positive pour le cinéma marocain, ils soulignent aussi l’urgence d'une meilleure réglementation. Plus les tournages se multiplient, plus il est crucial de définir des normes claires et de veiller à leur application stricte, afin d’éviter que le patrimoine naturel et culturel ne soit sacrifié au profit du profit immédiat.
Le CCM devrait non seulement encadrer les tournages sur le plan administratif, mais aussi sensibiliser les équipes de production locales et internationales à l’importance de respecter les sites de tournage et les communautés qui les habitent. Des consultations préalables avec les habitants, des évaluations d’impact environnemental et la mise en place d’une charte éthique pour les tournages sont autant de mesures qui pourraient empêcher la répétition de telles tragédies. La préservation du patrimoine, qu’il soit culturel ou naturel, doit être placée au cœur de toute politique de développement cinématographique.
Pour éviter que d’autres fermes, d’autres familles, ne subissent le même sort, il est urgent de mettre en place un cadre réglementaire clair et strict, avec des mesures précises :
1. Consultation et approbation obligatoires : Avant tout tournage, une consultation obligatoire avec les communautés locales doit être réalisée. Les habitants doivent être informés en amont des projets de tournage et avoir la possibilité de participer à la prise de décision concernant l’utilisation de leurs terres. Ce dialogue est essentiel pour garantir le respect des intérêts locaux et prévenir les abus.
2. Étude d’impact environnemental : Chaque projet de tournage doit faire l’objet d’une étude d’impact environnemental rigoureuse, pour évaluer les conséquences potentielles des activités de tournage sur l’écosystème local et les moyens de subsistance des habitants. Les résultats de cette étude doivent guider la prise de décision et permettre d’adopter des mesures de prévention adéquates.
3. Mesures de protection strictes : Il est impératif de mettre en place des mesures de protection pour minimiser les dommages environnementaux et sociaux. Cela inclut la limitation de l’utilisation de matériel lourd, des protocoles de prévention des incendies, et l’obligation de restaurer les sites après le tournage. Les équipes de tournage doivent être formées et sensibilisées aux enjeux environnementaux et patrimoniaux des sites qu’elles occupent.
4. Indemnisation et réparations immédiates : En cas de dommages, les équipes de tournage doivent être tenues responsables et fournir une indemnisation adéquate aux victimes. Les réparations doivent être effectuées sans délai pour restaurer les moyens de subsistance des habitants et permettre aux communautés de retrouver une vie normale. Il est également crucial d’établir un fonds d’urgence destiné à soutenir les agriculteurs et les familles impactées.
Mesdames, Messieurs, l’histoire de Monsieur Ahmed n’est pas un simple récit de malheur, c’est un appel à l’action. C’est un rappel que derrière chaque paysage se cachent des vies, des histoires et des générations d’efforts. Le développement de l’industrie cinématographique ne doit pas se faire aux dépens de notre patrimoine naturel et culturel. Protéger nos paysages, c’est protéger notre identité et notre avenir.
En instaurant des règles claires au sein du CCM et en sensibilisant les équipes de tournage à l’importance du respect de l’environnement, nous avons l’opportunité de créer un modèle de développement durable pour notre industrie cinématographique. Ensemble, œuvrons pour un équilibre harmonieux entre la créativité des cinéastes et la préservation de nos terres. Faisons en sorte que des histoires comme celle de Monsieur Ahmed ne soient plus jamais vécues, et engageons-nous à protéger ce qui fait la richesse et la beauté de notre pays.