La question migratoire en Allemagne : le concept de « pays d’origine sûre » pour le Maghreb en débat

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En Mai 2016, le Bundestag a décidé, en réponse aux événements de Cologne du jour de l’An 2015, de déclarer l’Algérie, le Maroc et la Tunisie des pays d’ « origine sûre ». La question a réuni le 1er mars 2017 à Berlin des militant(e)s pour les droits de l’Homme d’origine maghrébine, Mehdi Azdem (Association Racines, Maroc), Khadija Ainani (AMDH, Maroc) et Ramy Khouily (militant Tunisien), ainsi que le porte-parole de la question migratoire du parti vert allemand, Volker Beck.

Jusqu’à présent, le Bundesrat (Conseil fédéral représentant les Länder allemands) n’a pas lancé le processus de ratification du projet de loi, sachant que trois voix manqueraient en cas de scrutin. Mais après les attentats de Berlin en décembre 2016, le débat a été relancé et des représentant(e)s de différents partis politiques allemands ont laissé entendre qu’ils pourraient revoir leur position et se déclarer en faveur de la loi, amenant ainsi le Bundesrat à le remettre sur son agenda : le vote est prévu le 10 mars 2017.

L’Algérie, le Maroc et la Tunisie : des pays d'origine sûre ?

La question a réuni le 1er mars 2017 à Berlin des militant(e)s pour les droits de l’Homme d’origine maghrébine, Mehdi Azdem (Association Racines, Maroc), Khadija Ainani (AMDH, Maroc) et Ramy Khouily (militant Tunisien), ainsi que le porte-parole de la question migratoire du parti vert allemand, Volker Beck. Malgré l’absence de partisan(e)s de la loi lors du débat, et grâce à la modération éclairée de Dagmar Dehmer, journaliste du quotidien Tagesspiegel, les interventions ont permis de clarifier les enjeux et de mettre en perspective les positions de chacun.

Une loi souvent incomprise

Pendant le débat, Ramy Khouily, ancien militant de l’OING EuroMed Rights, a rappelé que la Tunisie était un grand pays de migration, comptant chaque année de nombreux accueils, transits et départs. Il a révélé que, paradoxalement, le thème était peu présent dans le débat public. Il a aussi constaté que son pays était dépourvu d’outils et de vision à long terme pour gérer les flux migratoires : les expert(e)s sont rares et les administrations dédiées font défaut. Ainsi il n’y a aucune cohérence stratégique. Autre point marquant du débat, Ramy Khouily a évoqué le quiproquo issu d’une mauvaise lecture de la nouvelle loi en débat au Bundesrat : les médias tunisiens l’ont accueillie favorablement, pensant qu’elle inciterait les touristes allemands à revenir en Tunisie (les dangers liés au terrorisme étant perçu comme « écartés », sic). Il a d’ailleurs ironisé en affirmant que : son pays était « sûr pour les migrant(e)s, mais pas pour les touristes ».

Les pays d’origine sûre, un concept juridique « aberrant »

Selon les droits allemand et européen, est considéré comme pays d’origine sûre tout pays sans torture, persécution, ou traitement inhumain ou dégradant ; ce que l’on sait impossible quel que soit le pays a rappelé Volker Beck. Ainsi le droit d’asile est par essence individuel, et non collectif. Il convient de rappeler que l’amendement de 1993 de la Loi fondamentale allemande a introduit le concept de pays d’origine sûre (Art. 16-3) pour faciliter le processus de traitement des demandes d’asile des ressortissants des pays en question. Cela a provoqué une grande confusion et des tensions politiques, tant au niveau national qu’international.

 

l’Algérie, le Maroc et la Tunisie – peuvent-ils être considérés comme pays d'origine sûrs? - Heinrich-Böll-Stiftung

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Autre fait qui interpelle, actuellement seuls deux pays hors-Europe sont considérés d’origine sûre, le Sénégal et le Ghana. Mais le plus étonnant est que des pays comme les Etats-Unis et le Canada n’en fassent pas partie.

Des enjeux forts pour les minorités

Plus préoccupant, les ressortissants des pays d’origine sûre se voient limités dans leur droit d’asile, alors que bien souvent leur sécurité n’est pas garantie, soit par absence de volonté, soit par incapacité. A titre d’exemple, les journalistes, les LGTBIQ et les minorités ethniques sont menacés dans les pays des Balkans occidentaux. Accorder le statut d’origine sûre aux pays du Maghreb est encore plus problématique quand on sait que certains droits individuels ne sont pas respectés, comme l’ont clairement révélé les interventions de Khadija Ainani et de Mehdi Azdem. Le fait que les LGTBIQ soient criminalisés par les codes pénaux maghrébin, l’illustre bien. Tant les expert(e)s que les politiques sont conscients des incohérences du projet de loi, mais admettent qu’une solution à la question migratoire reste à trouver. Cela sera l’un des grands défis du prochain gouvernement allemand.