Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis de Heinrich Böll,
Contrairement à ce qui est indiqué dans le programme, je ne veux pas entreprendre un panégyrique de l'édition de Cologne, mais un panégyrique de Heinrich Böll. Je ne peux dire que peu de chose de l'édition de Cologne, brièvement seulement ceci : je la trouve excellente. Lorsque je me suis mis à relire les grands romans de Böll, j'ai pu apprécier les qualités de cette édition : non seulement le commentaire précis et utile, mais aussi la documentation détaillée au sujet de l'histoire de la réception qui jette une lumière claire sur l'état d’esprit de l'ancienne Allemagne Fédérale. En somme, j'avais le sentiment que nous pouvions être heureux d’être sortis de cette époque bornée et prétentieusement terne.
Mais c’est hélas un fait, que les éditions d’œuvres complètes reliées et sous étui font souvent penser à de magnifiques cercueils dans lesquels les auteurs célèbres trouvent leur repos mérité. Fêtons-nous aujourd'hui des funérailles de première classe ? En d'autres termes : jusqu’à quel point Heinrich Böll est-il mort ?
Je n'aurais pas eu l'idée de poser cette question, si mon estimé collègue Burkhard Müller n’avait affirmé exactement cela il y a quelques mois. A l'occasion du 25ème anniversaire de la mort de Böll, il écrivit dans la « Süddeutsche » que Böll était mort, que ses romans étaient simplement épouvantables et que même la plupart des nouvelles ne valaient pas grand chose. Müller ne réagissait pas différemment que Marcel Reich-Ranicki qui avait déclaré en cette même circonstance dans une interview, que Böll était largement oublié. La raison ? Böll aurait eu autrefois, à l’époque du sommet de sa réputation, du nez pour des sujets qui étaient brûlants pour les Allemands. Mais aujourd'hui, d'autres sujets étaient actuels. Conclusion : hormis quelques belles nouvelles, Böll n'aurait plus beaucoup de choses à nous dire.
Je dois dire que j'ai été outré quand j'ai lu ceci. Personne n’aime voir abattre comme si de rien n’était les héros de ses jeunes années. Et Böll était l'un de mes héros. Je suis donc extrêmement heureux que vous m’ayez donné l’occasion de relire Böll et de remettre ses détracteurs à leur place. Je vais m’y employer maintenant. Je veux, premièrement, montrer que Böll n'était pas seulement un homme bon, mais aussi un bon écrivain ; et deuxièmement non pas qu'il est mort mais qu’on ne le reconnaît pas encore à sa juste valeur.. Je parle ici de sa valeur littéraire, pas de sa valeur politique qui est incontestée et dont je ne parlerai pas.
Qui lit aujourd’hui les romans de Böll sans idée préconçue ne peut que trouver absurde le jugement qui est dominant dans le milieu littéraire. Selon ce verdict, Böll aurait eu de bonnes intentions mais aurait été assez limité formellement et linguistiquement. Il suffit de se mettre sous les yeux la littérature allemande qui a été, ces dix ou vingt dernières années, non seulement imprimée mais louée et récompensée, pour voir qu’y domine une narration simple et directe, un brave naturalisme pauvre en expérience. En comparaison à cela, Böll est un géant de savoir-faire formel et linguistique.
Et non seulement en comparaison à cela : regardons ses contemporains, dont certains sont encore en vie. Avec chacun d'eux, il soutient la comparaison. Ce serait facile à montrer, mais je me retiens de donner des exemples, car ce ne serait certainement pas dans l’esprit de Böll de blâmer d’autres pour le louer.
Considérons, par exemple, La Grimace (« Ansichten eines Clowns »), un roman qui est soupçonné par certains d’être kitsch. Böll a choisi ici la forme conventionnelle du récit à la première personne, mais il a maîtrisé magistralement les possibilités ambivalentes de cette convention. Car Hans Schnier n'est pas Böll. Bien sûr, on pense au talent satirique de Böll quand Schnier dit de sa mère, cette femme de millionnaire, qu'elle était jadis une fervente national-socialiste et antisémite ; et après la guerre, « présidente du Comité central pour la réconciliation des oppositions raciales ».
Böll a toujours épinglé de telles coïncidences typiques, mais cela ne devrait pas nous mener à la méprise de voir le clown comme l’alter ergo de Böll. Car Hans Schnier est avant tout empreint d’auto-apitoiement et de solipsisme ; et Böll conduit ce narrateur à la limite du tolérable pour rendre clair ceci : la jouissance autoréférentielle dans sa souffrance. Quand le terrible prélat dit à Hans Schnier « ce qui est effrayant chez vous, c'est que vous êtes une personne innocente, je voudrais presque dire pure», c'est totalement à double-sens. Cela démasque le prélat, mais cela touche aussi juste. Car la simplicité de Schnier n'est pas seulement pure, mais aussi extrêmement stupide. Celui qui montre un tel narcissisme dans ses relations avec sa chère Marie n'a pas mérité cet amour.
Cela devient parfaitement clair dans le fantasme larmoyant au cours duquel le clown imagine voluptueusement ses propres funérailles ; ce qui me rappelle beaucoup des fantasmes similaires de Tom Sawyer et je suis sûr que Böll y a pensé. Hans Schnier a quelque chose d'enfantin en un double sens : il a la colère de tournure anarchiste d'un enfant, ainsi que son péremptoire manque de réflexivité.
Mais il y a dans ce roman un passage philosophique remarquable. Hans se rappelle une scène avec son jeune frère Léo, lorsque celui-ci lui avait demandé de scier avec lui un morceau de bois, et qu’à la question « pourquoi ? », il n’avait pas pu donner de raison. « Il voulait juste scier. » Hans, l'aîné, n'en avait pas envie et Leo pleura terriblement. Cependant, des années plus tard, Hans comprit d’un coup ce que son jeune frère avait voulu et revécut toute la scène: « J'ai vécu si intensément sa joie, son attente, son excitation, que j'ai commencé au milieu du cours à faire des mouvements de sciage jusqu'à ce que le Père Wunibald me tire par les cheveux et me fasse reprendre mes sens. Depuis, j'ai vraiment scié du bois avec Leo. » Et le clown en vient à la conclusion qu’une partie de ce dont il se souvenient avec certitude ne s’est peut-être pas passé ainsi et inversement : qu’une grande partie de ce qu'il a réellement vécu lui semble faux, non réel.
Nous avons ici un thème de la poétique de Böll, auquel il revient toujours : la littérature est convaincante et crédible non pas quand elle repose sur la factualité - c’est à dire revendique une plausibilité naturaliste - mais quand elle répond à une vérité intérieure ou plus haute, à un autre type de vérité. Bien sûr, cette vérité doit dans une certaine mesure être liée à la réalité et c’est pour cela que Böll a toujours fait des recherches très rigoureuses (ce que l’on voit avec précision dans les commentaires de l'édition de Cologne). Mais il n'a jamais eu une attitude de comptable, par laquelle les résultats de sa recherche auraient rétréci son imagination poétique, c'est-à-dire la recherche de la vérité. En ce sens, Böll n'était pas un réaliste.
On le voit le plus clairement dans le roman Les Deux Sacrements (« Billard um halb Zehn »). Il me semble que c’est le plus audacieux de tous les romans de Böll. Vous en tomberez d'accord si vous considérez sa construction. Tout d'abord, il y a une énorme tension entre le temps raconté et le temps du récit : le temps du récit englobe trois générations et un demi-siècle, le temps raconté la seule journée du 6 septembre 1958. Afin de construire cet arc de tension, Böll assume toutes les techniques narratives possibles, celle du narrateur omniscient comme celle du « je » narrateur limité à sa propre perception ; le dialogue comme le monologue et le monologue intérieur. Il travaille magistralement avec des retours en arrière et des fondus, de sorte que ce siècle horrifiant se resserre en un lieu et en une image.
Böll rehausse cette image avec la métaphore souvent citée du « sacrement du buffle » et le dicton biblique « Pais mes agneaux », une métaphore qui n'est pas entièrement traduisible dans notre langue de tous les jours, car elle est nourrie par l'imagerie catholique et porte aussi des traits « Bölliens », on pourrait aussi dire des traits hérétiques. Mais ce que Böll veut dire est tout à fait clair, il décrit ainsi le conflit entre les capables et les ratés, entre les cyniques et les « philanthropes », les fétichistes de l'ordre et les anarchistes privés, et on sait bien de quel côté se tient Böll à la fin.
Son aversion pour un simple réalisme est frappante dans la grandiose image de l'abbaye de Saint Anton : Heinrich Fähmel, le grand-père, l’a construite ; Robert, le fils, l’a dynamitée afin que le général nazi ait le champ de tir libre lors du combat final ; et Joseph, le petit-fils, reconstruira l'abbaye. Non, ce n'est pas réaliste, mais c'est une image convaincante de la force inaltérable du Teuton : construire, dynamiter, construire. Et pendant ce temps, le reconstruit a déjà été dynamité, tout pacifiquement. Il y a encore parfois des protestations, comme maintenant à Stuttgart. Je ne sais pas combien, parmi les manifestants, connaissent encore Böll.
Peut-on conclure la paix avec cette énergie vraiment fantomatique, que nous pouvons appeler en toute quiétude le capitalisme ? Böll ne le peut pas. Robert Fähmel, invité à la réouverture de l'abbaye, répond en pensée à l'abbé : « Je ne suis pas réconcilié, pas réconcilié avec moi et pas avec l'esprit de réconciliation que vous proclamerez dans votre discours officiel. » Non réconcilié, tel était le titre d'un des films du cinéaste aujourd’hui assez oublié, Jean-Marie Straub. Non réconcilié : c'était aussi Böll, auquel on pense toujours comme étant le conciliant.
Dans un entretien récent, Alberto Manguel a signalé le simple fait que toute fiction repose sur une tentative de fraude. L'auteur dit au lecteur : je sais que tu sais que je vais te tromper maintenant, alors faisons une alliance. Tu m’offres ta crédulité, et en retour je t’offre l'excitation et la vérité. Böll a repris ce contrat et l'a interprété à sa manière. La vérité qui le préoccupe n'est pas uniquement liée au documentaire ou au factuel. Il utilise ce matériau pour raconter sa propre histoire, comme dans Portrait de groupe avec dame (« Gruppenbild mit Dame »). Ici aussi, Böll essaye un nouveau procédé littéraire et il est étonnant de voir, à l’examen attentif, comment Böll a trouvé une forme particulière pour chaque histoire. Dans Portrait de groupe avec dame, la fiction narrative a une insouciance joueuse. Elle repose sur le pacte conclu avec le lecteur, et elle contraste en une opposition riche et tendue avec la reconstruction du passé et de la situation mentale de l’Allemagne que le roman s’est donné comme objectif.
L'auteur, qui se nomme ici simplement « auteur » et se déguise ainsi en même temps, raconte en somme quelque chose de très simple, mais aussi de très monstrueux ; il raconte la formation et la survie de cette mentalité qu’Adorno a appelée le caractère autoritaire, et sa culmination chez les nazis et leurs disciples. Que cette mentalité ne s’est pas éteinte après la guerre, Leni, l'héroïne, doit l’apprendre sur son propre corps. Elle est humiliée par les fascistes ordinaires et se fait rouler par les profiteurs. D'une manière mystérieuse, elle semble cependant intouchable. On la nomme une fois « sans remords », ce qui signifie : elle s’est détachée du rapport entre culpabilité et expiation parce qu'elle vit directement d’elle-même.
Qui est au juste cette Leni que le prétendu auteur suit pendant plusieurs centaines de pages ? Le personnage principal n'intervient jamais directement dans le temps du récit, mais toujours seulement dans le miroir des témoignages des autres. C'est un artifice efficace. Il rend l'histoire aussi polysémique que si un historien prudent était à l’œuvre. Leni est pour ainsi dire l’Hélène de Böll, une incarnation de son utopie du féminin, une combinaison de sensualité et de vitalité naïve, de courage et de belle naïveté.
Il est dit une fois : « Elle savait toujours ce qu'elle faisait seulement au moment où elle le faisait. » C’est la définition la plus concise possible de la naïveté et ce roman montre que la naïveté peut être une grande vertu. Leni est la contre-figure de tous les opportunistes et gros malins qui peuplent le roman et elle permet à son auteur de dresser en passant tout un panorama des infamies les plus normales. Cela fonctionne si bien que le lecteur, lors des passages documentaires interpolés - rapports de l'armée, de la propagande, protocoles des procès de Nuremberg - trébuche et s’effraie, comme s’il n’en avait rien su.
L'insouciance de Böll cependant, consiste dans le fait qu'il ne prête pas une attention particulière à la pérennité de la fiction narrative. Il est certes suggéré que l'auteur serait amoureux de Leni, mais c’est une fausse piste car il est raconté ailleurs comment l’auteur tombe amoureux d'une religieuse et comment une liaison prolongée se constitue. Devons-nous considérer ce genre de choses comme du laisser-aller narratif comme l'ont fait certains critiques ? Je tends au contraire à y voir une liberté poétique que Böll prend pour les raisons que je viens de mentionner: la distinction entre la réalité et la fiction est tout aussi discutable que celle entre le plausible et le non plausible.
Dans Portrait de Groupe avec dame sont insérés, par exemple, des protocoles des procès de Nuremberg dans lesquels il est dit: « Les commandants des camps de concentration se plaignent que cinq à dix pour cent des Russes soviétiques destinés à être exécutés arrivent morts ou à moitié morts dans les camps. » C’est la citation littérale. Et l'auteur, dans le roman de Böll, fait alors la remarque : « Il est important de reconnaître que la conquête de parties du monde ou de mondes n’est pas si simple et que ces gens avaient leurs problèmes qu’ils ont essayé de régler avec la rigueur allemande. Il n’est tout simplement pas acceptable que les gens que l’on doit exécuter nous soient livrés déjà morts. ».
Pour parler avec Hans Schnier : tout cela est certes arrivé, mais semble très invraisemblable. Inversement : tout ce que le narrateur pourrait rendre plausible et vraisemblable tombe sous le soupçon d'être pure invention. Je pense que ce fut l'un des grands accomplissements de l'écrivain Heinrich Böll d’avoir encore et toujours exposé et rendu visible dans toute son insolubilité ce problème moral et esthétique ; et c’est le problème du 20e siècle.
Mais si je m’emploie ici à prouver la grandeur littéraire de Böll, qui a certes été reconnue par l'Académie suédoise dans l'une de ses plus sages décisions, je déplore et ne peux pas ignorer le fait que Böll ne se trouve pas malgré tout au centre de l’attention littéraire. Même si je fais remarquer que la thématique de Böll n’est nullement épuisée, que sa critique du catholicisme dominant est plus actuelle que jamais, que sa colère contre les riches et les auto-satisfaits est tout sauf du passé, que ses accusations contre les médias n’ont nullement perdu leur souffle, enfin que le ressentiment contre ceux qui ont d’autres croyances ou une autre couleur a récemment repris de l’élan, si je voulais faire valoir cela (et je le fais valoir), je devrais cependant admettre que Böll et son œuvre, si importante en vérité, ne régissent plus l'agenda littéraire.
A quoi cela tient-il ? Lorsque je réfléchissais à cette question le brillant nouveau livre de Henning Ritter est parvenu entre mes mains. Il est intitulé Carnets de notes (« Notizhefte ») et contient des réflexions aphoristiques et de petits essais, écrits pour la plupart comme commentaires de textes philosophiques. Ritter trouve une note surprenante dans le journal d’Ernst Jünger qui écrit en 1945 qu'une des tâches de l'écrivain est « la description poignante de la pauvreté ». Ritter remarque à ce propos :
Que ceci ne soit plus un sujet en dit plus sur l'état de la culture que bien d'autres choses. Le 19ème siècle a produit de poignantes descriptions de la pauvreté, chez les Russes ou chez Balzac, Zola ou Dickens. Cela était lié à la croyance - aujourd'hui éteinte - au pouvoir de la littérature. «La Case de l'oncle Tom» fut le grand exemple de ce pouvoir de la littérature ; ce n’est pas de la grande littérature, mais une littérature qui a de grands effets. La littérature s'est émancipée de la compassion, c’est pourquoi elle ne connaît plus les objets qui ne se laissent reconnaître que par la compassion. La littérature qui veut être efficace ne veut plus faire le détour par la compassion, elle ne veut pas émouvoir mais voir des actes. Elle devient ainsi un instrument au service des criminels.
Voici ce que dit Henning Ritter. Il me semble qu'il a touché ici un point sensible : l'implication des intellectuels et des écrivains dans les mécanismes du pouvoir. Le vingtième siècle en donne de nombreux exemples et les écrivains de la RDA étaient fort concernés par cela ainsi qu’un certain nombre de ceux de l'ancienne RFA. Ils étaient préoccupés par l'efficacité politique, l'influence politique ; ils voulaient, comme dit Ritter, « voir des actes ». Mais il y a des thèmes qui se dérobent à l'accès motivé idéologiquement, il y a des thèmes - en réalité ce sont les véritables thèmes de la littérature – que seul l'auteur vraiment naïf peut reconnaître et comprendre, un écrivain donc qui est béni par le don de la compassion. Heinrich Böll a été cet écrivain.
Mais que signifie plus précisément la compassion ? Dans une conversation, le vieux Fähmel dit à son fils : «J'espère que tu n’as pas gardé au frais, dans la glacière de l’ironie, le sentiment de supériorité, ainsi que je l'ai toujours fait. » C'est Böll. Lui non plus ne voulait pas de sentiment de supériorité, ne voulait pas le garder au frais dans la glacière de l'ironie. L'ironiste se tient hors de tout, se place au-dessus ou à côté de l'objet de son ironie, comme s'il n'avait rien à voir avec lui. Dans l'humour de Böll, en revanche, nous reconnaissons une attitude qui se regarde comme faisant partie du contexte dont elle sourit. Nous pouvons définir cette attitude comme une Caritas Chrétienne, comme une prévenance samaritaine, comme une attention sans but, sans recherche de profit. C'est la condition de la compassion. Et cette compassion n'est pas seulement une catégorie morale, mais aussi esthétique. Esthétique signifie d'abord perception, et de l'esthétique découle nécessairement le littéraire, c’est pourquoi Böll a toujours refusé de séparer la morale et l'esthétique. Il en a examiné de près les relations dans les Leçons de Francfort (« Frankfurter Vorlesungen »).
Celui qui est capable de compassion, connaît aussi la colère et l’indignation. L'ironique ne connait rien de cela. Pourquoi devrait-il s’indigner ? Il a son ironie. Böll, cependant resta en colère jusqu'au bout, et cette colère est aussi une catégorie esthétique, une catégorie de perception. Mais nous, les contemporains, nous sommes endurcis, nous vivons en des temps ironiques. Nous sommes bien informés et nous sourions ironiquement sur ce que les informations contiennent de scandale. En Italie, il y a le concept de menefregismo. « Me ne frigo » signifie : cela ne me concerne pas, laissez-moi tranquille. L’œuvre de Böll est un recours contre le menefregismo et c’est pourquoi elle a du mal avec nous. Ou bien : nous avons du mal avec elle.
Permettez-moi cependant de conclure avec une remarque personnelle qui peut peut-être rendre optimiste. Ma plus jeune fille a passé le baccalauréat il y a deux ans et Böll était un des sujets traités en allemand. Les enfants ont lu La Grimace et L'Honneur perdu de Katharina Blum et ce n'est pas, comme vous pourriez le croire, qu’ils auraient courbé l’échine face à Böll. Ils ont courbé l’échine - et violemment – avec Les affinités électives. Ils ont aimé lire Böll. On peut observer en général que le cynisme postmoderne ne joue plus aucun rôle parmi les jeunes gens. Ils inclinent à un pragmatisme teinté de conservatisme des valeurs. Il se pourrait que l'ère de l'ironie approche de sa fin ; il se pourrait que nous revenions bientôt à Heinrich Böll.
traduit par Bertrand Brouder (2017)