Au Maroc, où la quasitotalité de l’énergie consommée provient de sources fossiles polluantes et importées, l’efficacité énergétique a été érigée au rang de priorité nationale il y a dix ans. Au niveau local, le Centre info-énergie (CIE) de Chefchaouen mène une action pionnière pour outiller et sensibiliser les citoyens, mais aussi soutenir la politique environnementale de la commune.
Sensibiliser, informer, éduquer, telle est la devise du Centre info-énergie (CIE) de Chefchaouen. Une structure totalement inédite au Maroc, dont la mission est de « contribuer à faire évoluer les mentalités pour être en phase avec les projets de développement durable de la commune », résume son directeur, Ouail Tabiti. Car dans cette petite ville de 42 000 habitants adossée aux montagnes du Rif, l’écologie est déjà au coeur de la politique locale depuis un bon moment. Le virage a été amorcé en 2010, année où le conseil communal a pris une série d’engagements pour faire de Chefchaouen une ville écologique. Deux ans plus tard, elle figurait parmi les sites pilotes du programme teritorial Jiha Tinou (« ma région »), initié par l’Agence marocaine de l’efficacité énergétique (AMEE) pour accompagner les initiatives locales et renforcer les compétences des communes en matière d’efficacité énergétique. C’est dans ce cadre que le Centre info-énergie a ouvert ses portes en 2016. Soutenu par un financement de l’Union européenne, il a d’abord été géré par deux associations locales, avant d’être pérennisé en 2018 par la commune qui l’a intégré au sein de son service Environnement.
Dans ses locaux, qui abritent quantité de ressources pédagogiques, maquettes explicatives et autres échantillons de matériaux isolants, le CIE accueille les visiteurs en quête de renseignements. Il est également équipé d’instruments de mesure (wattmètre, thermomètres, sondes de température, caméras thermiques, etc.) qu’il peut prêter aux citoyens pour les aider à réaliser leur propre diagnostic chez eux. Le CIE les conseille en matière de confort thermique, acoustique et lumineux, leur explique comment réduire leur consommation d’électricité et d’eau, et les incite à se tourner vers l’énergie solaire. Idem lors des campagnes de sensibilisation qui sont menées à l’extérieur, que ce soit pendant les fêtes municipales, en porte-à-porte ou lors d’ateliers menés auprès des scolaires, qui représentent 75% du public visé par ces opérations. « Chaque action fait l’objet d’une évaluation, ce qui nous permet de constater un taux de passage à l’acte d’environ 40% parmi les ménages ciblés », souligne Ouail Tabiti qui ajoute que « le CIE ne se cantonne pas à l’éducation, il intervient dans la stratégie de la commune en lui fournissant des outils d’aide à la décision et en proposant des actions environnementales ». Le CIE pilote en effet le système d’information géographique de l’éclairage public qui permet de géo-référencer et analyser les points lumineux de la ville, afin de définir les performances visées et les investissements à prioriser. C’est ainsi que sur les 4000 points lumineux du réseau, un quart a été doté de lampes LED, provoquant une réduction de 45% de la facture d’électricité du quartier concerné. « L’éclairage public est le plus gros consommateur après les transports, cela représente 10% du budget communal », précise Ouail Tabiti. Autre outil, le tableau de bord de gestion énergétique est un logiciel qui intègre la consommation d’électricité, d’eau, de gasoil et de lubrifiants : ces données, une fois analysées, permettent de repérer d’éventuelles anomalies sur lesquelles intervenir.
Dans la même veine, un plan de déplacement du personnel administratif a été établi et des vélos électriques ont été acquis. Des panneaux solaires ont été installés dans les divers bâtiments de la commune, comme la bibliothèque, et permettent de chauffer l’eau de la piscine municipale, désormais accessible à la baignade toute l’année. Si l’action du CIE est limitée par le manque de ressources humaines (le budget prévu par la Loi de Finances 2020 ne permet pas aux communes de recruter de nouveaux fonctionnaires), il peut néanmoins se targuer d’avoir sensibilisé à ce jour plus de 9000 personnes, soit près d’un quart de la population. Une réussite qui fait des émules puisque deux nouveaux centres info-énergie sont en train de voir le jour, à Oujda et à Tata. Il faut dire que l’accroissement constant de la consommation d’énergie, lié au dynamisme des secteurs productifs et au meilleur accès des citoyens à l’électricité, pose une équation difficile à résoudre dans un pays qui dépend à 90% de l’importation d’énergies fossiles polluantes. Pour l’heure, les impératifs de productivité continuent de l’emporter sur l’efficacité énergétique, pourtant il y aurait fort à gagner : outre la protection de l’environnement, la réduction de la facture énergétique se traduit par une meilleure compétitivité dans l’industrie, l’agriculture et le transport, sans compter la création de nouveaux emplois. C’est pourquoi le Maroc, au moment de tracer les contours de son Programme national des actions prioritaires (PNAP) en 2008, avait fait le choix de miser sur l’efficacité énergétique. Cette dernière deviendra même une « priorité nationale » selon les termes de la stratégie énergétique adoptée en 2009. Les enjeux sont tels qu’une Stratégie nationale de l’efficacité énergétique (SNEE) sera spécifiquement définie (voir encadré), ainsi qu’une loi. Promulguée en 2011, la loi 47-09 « a pour objet d'augmenter l'efficacité énergétique dans l'utilisation des sources d'énergie, éviter le gaspillage, atténuer le fardeau du coût de l'énergie sur l'économie nationale et contribuer au développement durable », pose le préambule. Autre signal fort, une Agence de développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique (ADEREE) a été créée en 2010, avant d’être rebaptisée Agence marocaine de l’efficacité énergétique (AMEE) en 2016.
Mais pour être efficace, il faut être nombreux. Les citoyens sont-ils prêts à fournir ces efforts ? Pour le savoir, la Fondation Heinrich Böll a réalisé une enquête de terrain en 2019. Cet « État des lieux de l’efficacité énergétique » a ciblé le quartier de Sidi Maârouf, une ancienne zone résidentielle en périphérie de Casablanca qui a connu de grandes mutations ces vingt dernières années. Désormais, cette zone de mixité accueille de nombreux commerces, bureaux, villas, appartements de haut et moyen standing, ainsi que des résidences économiques destinées à reloger les habitants des bidonvilles. Quelque 200 personnes, constituant un échantillon représentatif de ces divers lieux de vie, ont été interrogées sur leur consommation d’électricité, qui est l’énergie la plus utilisée dans les foyers (au Maroc, le taux de consommation par habitant augmente en moyenne de 5% par an). Presque tous les sondés (81%) se disent prêts à adopter de nouvelles habitudes de consommation. La plupart envisagent de choisir leurs futurs appareils ménagers en fonction de l’étiquette énergétique (c’est-à-dire selon les caractéristiques de consommation) et adhèrent à l’idée de chauffer l’eau à l’énergie solaire, encore très peu répandue. Ce que l’étude montre aussi, c’est que le degré de conscience est proportionnel au niveau social : les habitants des villas et maisons semblent mieux identifier ce qui est énergivore chez eux. De même, les citoyens ayant un niveau de vie élevé affichent une meilleure connaissance du concept d’efficacité énergétique. En revanche, quel que soit leur milieu d’appartenance, tous les sondés sont lucides concernant leur surconsommation d’électricité. Ces résultats, qui permettent d’identifier les besoins en information, ont été complétés par une enquête en ligne auprès d’associations nationales et régionales, vecteurs privilégiés de transmission auprès des citoyens. Ce qui ressort majoritairement de ces deux études, c’est l’inertie des mentalités : amener les esprits à une prise de conscience est aujourd’hui le plus gros défi de la transition énergétique marocaine.