À première vue, les tissus fabriqués à partir de fibres synthétiques offrent de nombreux avantages : ils sont bon marché, ils sèchent vite et ils s’adaptent à toutes les morphologies. Mais ils sont eux aussi devenus des produits jetables et ils contribuent fortement au changement climatique. Sans compter qu’ils sont peut-être nocifs pour la santé.
Les effets du secteur textile sur le changement climatique sont moins criants que ceux de l’industrie automobile, mais la production de polyester génère un large spectre de gaz à effet de serre.
Un grand nombre de vêtements portés au quotidien sont faits partiellement ou entièrement à partir de polymères, mais les consommateurs ignorent souvent que des termes comme polyamide, polyester, acrylique ou nylon font référence à des fibres synthétiques, autrement dit à du plastique. Ces matières rencontrent un grand succès auprès des producteurs comme des consommateurs. Elles sont élastiques, elles sèchent vite, elles sont douces au toucher et elles sont plus légères que les fibres naturelles comme le coton.
Les polymères utilisés pour fabriquer des fibres chimiques sont de deux ordres. Ceux qui sont à base de cellulose, comme la rayonne, sont généralement issus du bois. Les polymères synthétiques, comme le polyester, sont produits en plusieurs étapes, mais leurs matières premières restent le pétrole brut ou le gaz naturel. En 2017, 70 % environ de toutes les fibres fabriquées dans le monde étaient le résultat d’une synthèse chimique. Le polyester arrive largement en tête puisqu’il représente 80 % des fibres synthétiques, et sa production augmente de façon régulière. Quelque 53,7 millions de tonnes en ont été vendues en 2017. 94 % environ de la production et du traitement est réalisé en Asie, notamment en Chine, la moitié des fibres de polyester servant à fabriquer des vêtements. Les textiles – y compris industriels – représentent 15 % de la production annuelle de plastique dans le monde.
L’industrie textile est un gros pollueur de nappes phréatiques, de cours d’eau et de mers. En effet, entre 20 000 et 40 000 substances chimiques différentes sont utilisées pour traiter les tissus et les teindre. Beaucoup sont cancérigènes, modifient le code génétique ou nuisent aux facultés de reproduction. On les soupçonne aussi d’entraîner des allergies et d’influer sur le système hormonal. Parmi les additifs nocifs, citons le formaldéhyde, les produits chimiques dits perfluorées, les ignifugeants et les teintures. Les ouvriers y sont exposés à de nombreux stades de la chaîne de valeur. Ces contaminants affectent également les populations vivant à proximité des usines de production et des flux d’eaux usées.
Leurs effets se font très largement ressentir. Un grand nombre de personnes travaillant dans l’industrie textile – il s’agit à 70 % de femmes à travers le monde – sont en effet atteintes de maladies professionnelles. Un lien entre le formaldéhyde et un certain nombre de décès par leucémie a ainsi été établi. Les femmes qui manipulent des fibres synthétiques dans les usines ont un risque plus élevé de cancer du sein, et en Chine, on a constaté qu’elles étaient davantage sujettes aux fausses couches.
Les vêtements en fibres synthétiques continuent à poser problème après le stade de la fabrication. En effet, des particules de microplastique pénètrent dans l’environnement lorsqu’on les lave. Des chercheurs ont montré qu’une lessive de cinq kilogrammes de vêtements entraîne potentiellement le rejet de six millions de microfibres dans les eaux usées ; une simple veste en polaire peut en libérer 250 000. On sait encore peu de choses des effets de ces microplastiques sur la santé, mais, phénomène particulièrement inquiétant, ils attirent d’autres contaminants comme des aimants. Il s’agit notamment des composés organiques persistants et d’autres toxines à vie longue particulièrement nocives. Ces composés se fixent sur les microplastiques et entrent dans la chaîne alimentaire. On en a déjà détecté dans le sel, le poisson, les moules et même dans les excréments humains. Les usines de traitement des eaux usées et les machines à laver ne sont pas encore capables de filtrer ces redoutables microfibres.
Les consommateurs doivent reconnaître leur part de responsabilité dans cette pollution ; car même lorsque les vêtements peuvent encore être portés, 64 % d’entre eux sont jetés. Dans l’Union européenne (UE), 80 % finissent soit dans un incinérateur soit sur une décharge. Et sur la quantité restante, seuls 10 à 12 % sont revendus au niveau local. Les autres vêtements sont envoyés dans des pays en développement où ils
sont vendus moins cher que ceux fabriqués par les entreprises locales, ce qui sape leur marché. Quant aux textiles qui finissent dans la mer, ils s’enfoncent plus profondément que les plastiques et représentent un danger pour la vie marine.
L’une des causes de ce problème est l’industrie de la « fast fashion » qui pousse les entreprises à inonder le marché de quantités astronomiques de vêtements bon marché. Aux États-Unis, ces 20 dernières années, le volume de vêtements jetés chaque année a doublé, passant de 7 à 14 millions de tonnes. Cela signifie que cette industrie contribue pour une large part à polluer l’environnement et à menacer notre santé. La production de fibres synthétiques est en outre dopée par l’essor de la culture des loisirs en extérieur qui exige les vêtements les plus fonctionnels possibles.
Le recyclage des vêtements se développe, mais il ne change pas fondamentalement la donne. La consommation mondiale de polyester recyclé a certes bondi de 58 % entre 2015 et 2016, mais un recyclage à grande échelle impliquerait que les différents types de fibres ne soient pas mélangés, car leur séparation coûte très cher. Il faudrait donc non seulement fabriquer des tissus qui puissent être recyclés, mais aussi généraliser les dispositifs de dépôt des vêtements portés, car peu de pays en sont dotés. Encore ne s’agit-il là que d’une solution superficielle et temporaire, car si le recyclage permet effectivement de prolonger la durée de vie des fibres synthétiques, leur qualité se détériore néanmoins à chaque cycle et elles finissent quoi qu’il arrive à la poubelle.
L’adoption d’un mode de consommation plus soutenable est donc une condition sine qua non si nous voulons nous attaquer véritablement au problème. Acheter des vêtements de seconde main ou procéder à des échanges avec d’autres personnes sont deux bons moyens de ralentir la production d’articles neufs. À l’heure actuelle, les fabricants ne sont pas en mesure de répondre à la demande de vêtements à base de fibres issues de sources soutenables comme le coton biologique. De nouveaux procédés sont également à l’étude pour transformer des matières naturelles telles que les coquilles de crustacés, l’écorce des arbres, le chanvre, les orties et le lin – idéalement d’origine locale – en fibres pour vêtements. Mais là encore, leurs effets sur l’environnement, la santé et la société demandent à être mesurés, et certains écueils, comme celui des monocultures, de l’emploi de substances chimiques nocives pour la santé et l’environnement et de l’exploitation non raisonnée de la forêt, doivent être évités.