Sans échappatoire : Etat d'urgence en vulnérabilité sociale. Intensification des inégalités et aggravation de l'exclusion.

Etat d'urgence en vulnérabilité sociale

L'état d'urgence sanitaire a un coût. Chez les travailleur.e.s précaires qui assurent la continuité de l’activité sous les oripeaux de l’économie formelle ou informelle, le risque sanitaire est décuplé, l’incertitude prépondère et les droits sociaux et économiques diminués; la reconnaissance publique dont ils bénéficient « ne change rien », dit Mohamed, éboueur sous contrat d'intérim à Casablanca. Les chauffeurs de taxi, malgré la perte de deux des leurs, espèrent une reprise rapide car, sans « revenus fixes, s'ils travaillent ils gagnent leur vie, sinon ils n'ont rien », déplore Aziz, chauffeur de petit taxi affilié à la Confédération générale du travail (CGT).

A Guich Loudaya, le confinement est synonyme d'inertie dans des carcasses d'habitation clandestine « en attendant la mort, ou qu'une solution soit trouvée » lâche, fataliste, une occupante. Faute de relogement, 17 familles restées sur leurs terres occupent des abris de fortune insalubres, sans accès à l'eau, ni à l'électricité, ni aux moyens d'hygiène, encore moins aux aides de l'Etat: leur douar rayé de la carte administrative du royaume, ils n'ont pas d'existence officielle. Pour la sociologue Soraya El Kahlaoui, qui plaide pour le droit au logement pour tou.te.s, « le coronavirus peut être une occasion de repenser la planification des villes et de repenser le logement de manière générale ».

La situation diffère pour les malvoyant.e.s. Contraint.e.s à braver l'état d'urgence sanitaire, le confinement est un luxe qu’ils ne peuvent se permettre, car « personne ne viendra frapper à la porte pour me dire tiens, voici de quoi manger », dit Houssine, diplômé chômeur malvoyant. Il en va de même pour Aziz, maraîcher, chassé d'un souk par un caïd qui « nous avait ordonné de rester chez nous », se souvient-il. « Quand on lui a demandé de quoi allons-nous vivre, il nous a dit qu'il y avait des aides ». Avec deux enfants à charge, il n'est éligible qu'à 1000 dirhams de subventions, « ce qui ne couvre même pas l'alimentaire », s'indigne Aziz.

Maillons d'une « économie de la circulation », les individus ayant des occupations qui dépendent fortement de la mobilité se retrouvent dans une position où, « quand la circulation s'arrête, cette économie ne fonctionne plus », dit le sociologue Mehdi Alioua. Les choses sont encore plus compliquées quand on est migrant.e. Les sans-abri sont déplacé.e.s d'une ville à l'autre, et ceux sans titre de séjour valide sont privé.e.s d'autorisations de sortie, alors que leurs revenus proviennent majoritairement du dehors. « La situation est telle que des gens ne mangent qu'un à deux repas tous les trois jours. La faim les assaille. C'est dramatique », avertit Mehdi Alioua.

Une autre catégorie vit le confinement comme une expérience étouffante et oppressante: les femmes victimes de violences. Soustraites de l’espace public et cantonnées au strict cadre domestique, les violences contre les femmes deviennent plus diffuses et plus difficiles à constater. « En confinement, les victimes se retrouvent avec leurs agresseurs de façon plus permanente, et c’est la raison principale derrière l’augmentation de ces violences, qui sont alimentées par la précarité et les tensions liées au stress économique et sanitaire qui se sont rajoutés au sein des foyers en cette période », dit Aïcha Del-lero, du collectif Masaktach. Les femmes exerçant des métiers précaires, marqués par une certaine pénibilité, se retrouvent non seulement exposées à différentes formes de violences, mais aussi à un risque sanitaire accru: au moins une usine où a été découvert un foyer du coronavirus emploie un personnel majoritairement féminin. « Peu organisées et syndiquées », elles sont « obligées de garder le silence et de taire leur conditions de travail dégradantes, de taire les violences qu’elles subissent », explique la géographe Chadia Arab.

Pris.e.s dans le brouillard de l’état d’urgence sanitaire, ces catégories sociales vulnérables se retrouvent plus que jamais fragilisées, questionnant les choix limitatifs et encombrés de dilemmes adoptés par le Maroc dans sa gestion de la pandémie du Covid-19.

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