Avec sa politique de transition énergétique ambitieuse et ses investissements massifs dans le domaine des énergies renouvelables, le Maroc est sur la bonne voie pour devenir indépendant des importations d'énergie étrangères et réduire considérablement les prix de l'électricité à la consommation.
Avec sa politique de transition énergétique ambitieuse et ses investissements massifs dans le domaine des énergies renouvelables, le Maroc est sur la bonne voie pour devenir indépendant des importations d'énergie étrangères et réduire considérablement les prix de l'électricité à la consommation. À l'avenir, le royaume pourrait même devenir un exportateur d'énergie et, avec l'aide de l'hydrogène vert, donner un coup de pouce à la transition énergétique européenne. Mais entre-temps, le pays doit encore surmonter quelques obstacles et venir à bout de certains objectifs pouvant sembler contradictoires.
Depuis bien plus longtemps qu’on ne pourrait le croire, l’énergie a toujours été un sujet préoccupant et d’une importance primordiale pour le Maroc. La situation énergétique du pays a en effet été depuis toujours, très liée à la singularité du contexte géographique local : Le Maroc est un pays confronté à la quasi-absence de ressources énergétiques fossiles identifiées (hydrocarbures, charbon) et à une lourde dépendance des importations qui couvraient jusqu’en 2018 plus de 90 % des besoins nationaux en énergie.
De plus et depuis le début du 20e siècle, le Maroc connait une croissance continue de la demande en énergie, une croissance liée notamment au processus d’industrialisation en développement, à l’essor de l’économie national et à l’augmentation du niveau de vie de la population. Parallèlement, un nouvel enjeu est venu s’ajouter à la liste: le dérèglement climatique, dont l’impact peut être déplorable si nous n’agissons pas, dans un pays où l’eau joue un rôle central et où la dépendance énergétique demeure encore très forte.
La nouvelle stratégie nationale de l’énergie – un véritable changement de paradigme
Conscient de sa vulnérabilité énergétique, le Maroc a toujours dû faire preuve d’inventivité et d’audace pour adresser la question de l’énergie souvent synonyme de préoccupations d’approvisionnement, de coûts imprévisibles et de déficit permanent de la balance des paiements. Aujourd’hui, désireux de se positionner comme leader en Afrique et dans le monde en matière de lutte contre les changements climatiques, le Maroc tente activement de remédier à cette situation et de changer la donne, en ambitionnant d’être depuis une dizaine d’année à l’avant-garde de la transition énergétique, notamment à travers la nouvelle stratégie nationale de l’énergie de 2009. En effet, Le Royaume a adopté depuis une dizaine d’années maintenant sous les hautes orientations royales, une stratégie énergétique volontariste et ambitieuse qui a notamment fixé pour objectif de porter la part des énergies renouvelables dans la puissance installée à 42% en 2021 et à 52% en 2030.
Il faut savoir que jusque-là et aujourd’hui encore, le mix énergétique marocain a largement été dominé par les hydrocarbures (52% en 2019) essentiellement destiné au transport et le charbon (33% en 2019) destiné à la production d’électricité. La stratégie de 2009 avait ainsi constitué une rupture historique, dans la mesure où elle présentait une solution potentiellement viable et durable au problème et une nouvelle voie possible porteuses de nombreuses opportunités dans le domaine des énergies renouvelables pour le pays. Cette nouvelle stratégie a ainsi permis au Maroc de suivre une trajectoire nouvelle en matière d’énergies renouvelables, susceptible d’amener des bénéfices économiques, sociaux et environnementaux considérables et insoupçonnés jusque-là.
Depuis, le Maroc s’est véritablement donné les moyens de d’atteindre ses ambitions et commence à récolter les fruits de cette stratégie. L’expérience acquise par le pays depuis le lancement de la stratégie de 2009 ainsi que les grands chantiers entamés ont permis de percevoir les prémices d’un changement profond de paradigme. A la fin de 2020, le pays a déjà réussi à atteindre une capacité installée d'un peu moins de 40 % d'énergies renouvelables. De même que dans l'indice international de protection du climat 2021 de Germanwatch, le Maroc s’affiche parmi les pays en tête de liste en occupant la 7ème position sur 57 pays. En effet, les coûts des énergies renouvelables n’ont jamais été aussi compétitifs qu’aujourd’hui dans le monde, appelant ainsi à une implémentation accélérée de la vision marocaine de la transition énergétique et à l’émergence de nouveaux partenariats, de nouveaux marchés potentiels et de nouvelles opportunités dans le domaine de l’énergie entre l’Afrique et l’Europe.
En effet et d’après un récent avis[1] publié par le CESE en 2020, « les bénéfices potentiels sont très significatifs. Le Maroc peut passer d’une dépendance énergétique de près de 88% aujourd’hui à 35% en 2040 et moins de 17% en 2050. En parallèle, le coût moyen de l’électricité sur le réseau pourrait baisser de 0,79 DH/kWh aujourd’hui à 0,61DH/kWh en 2040 et 0,48 DH/kWh en 2050. ». Le Maroc pourrait donc dans un proche avenir, jouer un rôle clé pour l’approvisionnement de l’Europe en énergie verte via l’électricité ou l’hydrogène, redessinant ainsi les équilibres géopolitiques de notre région. Les nouveaux engagements européens de neutralité carbone en 2050, formalisés dans le Green New Deal de l’Union Européenne, ouvrent en effet cette opportunité-là.
Les espoirs de l’Europe : l'énergie propre issue du Maroc
De grands espoirs reposent ainsi sur la transition énergétique marocaine - non seulement dans le royaume lui-même, mais aussi en Europe. Le Maroc devrait fournir à l'avenir de grandes quantités d'énergie solaires, éoliennes et d'hydrogène vert à l'Europe, ouvrant ainsi la voie à la neutralité carbone, selon les calculs envisagés par Madrid, Paris et Berlin.
En réponse, le Maroc a maintenant ajouté un autre objectif ambitieux à sa feuille de route en matière de politique énergétique : il entend devenir un leader mondial dans la production d'hydrogène vert. En effet, la demande croissante pour ce nouveau carburant sans émission fait de la production d'hydrogène une véritable industrie du futur. Le Maroc ne veut pas passer à côté de cette nouvelle opportunité économique. Ainsi, nous vivons peut-être une époque où l’énergie peut devenir une des principales sources de richesse du pays et le déclencheur d’une nouvelle émergence verte du Maroc entre les deux continents.
Outre la faisabilité technique et financière de ces nouveaux projets verts, la question principale maintenant est de savoir quelles seraient les conséquences d'une telle stratégie conçue et orientée essentiellement pour et vers l'exportation, pour la transition énergétique marocaine et pour les citoyens et les citoyennes du pays.
Perspectives pour la production d'hydrogène : Entre électricité verte et pénurie d’eau
Mais qu'est-ce qui rend le Maroc si attrayant en tant que fournisseur potentiel d'hydrogène ? Il s'agit avant tout du potentiel de production de grandes quantités d'électricité solaire et éolienne, nécessaires à la production d'hydrogène vert (voir encadré). C'est la raison pour laquelle l'Europe a tant d'espoir dans la transition énergétique du Maroc. Le pays bénéficie de conditions climatiques extrêmement favorables, a déjà investi massivement dans les énergies renouvelables et se trouve dans le voisinage direct de l'Europe.
Le Maroc entend tirer profit de cette situation et souhaite investir dans la production d'hydrogène vert destiné à l’exportation à partir de son énergie solaire locale. Jusqu'à présent, cette ambition semble fortement axée sur la forte demande extérieure - essentiellement de l'Allemagne et d'autres États de l'UE qui veulent s'assurer un accès au "pétrole du futur". Cela se reflète, par exemple, dans l'accord germano-marocain sur l'hydrogène, qui a été signé à Berlin en juin 2020 et qui prévoit que la République fédérale d'Allemagne soutienne le Maroc dans la construction d'une usine de production d'hydrogène vert. Des fonds à hauteur de 300 millions d'euros ont déjà été promis à cette fin et devraient permettre à l'Allemagne d'acheter de l'hydrogène vert au Maroc dans le futur.
Cependant, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant que le Maroc puisse exporter de l'hydrogène vert. Pour cela, le pays doit avant tout produire beaucoup plus d'électricité à partir de sources renouvelables qu'il ne l'a fait jusqu'à présent. En 2019, seulement 4% de l'électricité produite provenait de centrales solaires (1581 GWh), 12% de centrales éoliennes (4587 GWh) et 4% de centrales hydroélectriques (1654 GWh). En comparaison, l'Allemagne a produit un total de 47 500 GWh d'électricité solaire en 2019, soit plus que le Maroc a généré par des sources d'énergie conventionnelles et renouvelables combinées au cours de la même année. Mais bien évidemment, le potentiel dont dispose le Maroc est énorme : Disposant de plus de 3000 heures de soleil par an et d’un gisement éolien offshore et on-shore important avec des régions dépassant 10 mètres par seconde (10 m/s) de vitesse annuelle moyenne du vent, le potentiel énergétique marocain en énergies renouvelables, désormais plus compétitif, est en effet remarquable et est resté jusque-là trop peu exploité !
En outre, la production d’hydrogène nécessite beaucoup de ressources en eau. Or aujourd’hui déjà, quelques régions du Maroc sont confrontées à un stress hydrique notable. Le Maroc vise donc à obtenir l'eau douce nécessaire à partir d'usines de dessalement d'eau de mer. Cependant, ces dernières devraient être également alimentées par de l'électricité verte afin de produire de l'hydrogène climatiquement neutre. Cela signifierait dont qu'il faudrait produire encore plus d'énergie de sources renouvelables dans le royaume.
La transition énergétique du Maroc - beaucoup de grandes centrales électriques, peu d'acteurs impliqués
Pour comprendre d'où viendra l'électricité verte nécessaire à la production de l'hydrogène, il est intéressant de se pencher sur la transition énergétique du Maroc. Contrairement à l'Allemagne, où la transition énergétique s'est développée de manière plutôt décentralisée et où un grand nombre d'acteurs peuvent produire eux-mêmes de l'énergie et l'injecter dans le réseau, l'expansion des énergies renouvelables au Maroc a été largement initiée et centralisée par l'État. Deux institutions étatiques ou semi-étatiques dominent le marché et peuvent notamment construire et exploiter des centrales éoliennes et solaires. Il s’agit de l’Office national de l'électricité et de l'eau potable (ONEE), qui détient également le réseau électrique marocain, et de l'Agence marocaine pour l'énergie durable (MASEN), qui a été créée en 2010 pour développer, étendre et exploiter des centrales solaires et éoliennes. Par conséquent, l'énergie renouvelable produite au Maroc provient principalement de grandes stations solaires et de parcs éoliens, dont la plupart ont été financés en partie par des banques internationales de développement. La banque de développement allemande KfW, par exemple, a contribué à hauteur de 830 millions d'euros à la construction de la centrale solaire de Noor, ce qui représente un bon tiers de l'investissement global.
Cependant, le marché de l’énergie reste très restreint du fait que les entreprises marocaines, les municipalités et les ménages privés sont autorisés à produire de l'électricité pour leur propre usage, mais ne peuvent toujours pas réinjecter le surplus dans le réseau public. Bien que des efforts aient été entrepris dans ce sens depuis des années pour ouvrir le marché de l'électricité à d'autres acteurs à moyen terme, le cadre juridique est toujours en cours d’élaboration et ce depuis quelques années déjà pour diverses raisons. De ce fait, la question de la libéralisation du marché de l’énergie se pose plus que jamais avec acuité au Maroc.
Entre-temps, force est de constater que la part du charbon dans le mix énergétique a augmenté de 70% depuis 2014 et de nouvelles centrales comme celle de Safi fonctionnent à pleine puissance, alors même que le potentiel existant en matière d'énergies renouvelables n'est pas entièrement exploité : un peu moins de 20 % seulement de l'électricité produite en 2019 provient de sources renouvelables, alors qu'il serait techniquement possible d'en produire jusqu'à 40 %. Par conséquent, le Maroc n'at pas encore atteint son plein potentiel en matière de promotion des énergies renouvelables et de décarbonisation de la production énergétique.
L'énergie pour l'exportation – mais pas au détriment de la population marocaine
La promesse de l'hydrogène vert et surtout les perspectives économiques de son exportation vont probablement conduire à un nouvel essor des énergies renouvelables au Maroc. Car c'est ce qui manque actuellement, outre les installations techniques et le savoir-faire pour la production de l’hydrogène, c’est en effet de grandes quantités d'électricité verte ! A ce stade, nous ne savons pas encore très bien comment le boom attendu affectera la transition énergétique du Maroc.
Dans le meilleur des cas - comme l'espèrent de nombreux experts – la grande demande et l’immense quantité d'énergies renouvelables requise pour la production d’un hydrogène vert entraînera une libéralisation rapide du marché marocain de l'électricité, simplement parce que le modèle centralisé actuel ne sera pas en mesure de produire les quantités nécessaires d'électricité propre dans des conditions de concurrence internationale. L'hydrogène pourrait ainsi devenir une porte d'entrée pour les entreprises privées, les communes et les ménages et diversifier ainsi davantage les acteurs du marché marocain de l'électricité.
Mais les choses pourraient aussi se passer différemment. La structure actuelle des grandes centrales solaires et des grands parcs éoliens, qui restent aujourd’hui exploités par seulement quelques acteurs (semi-)étatiques, pourrait - selon les craintes de certains autres experts - être encore renforcée par la nouvelle orientation de la production d'électricité ou d'hydrogène vers l'exportation. Car il est probable que l'expansion future des énergies renouvelables soit également largement soutenue et subventionnée par les fonds des donateurs internationaux. Des fonds qui ne peuvent être absorbés par l'État qu'à cette échelle et n’être investis que dans de grandes installations de la sorte...
Pour les deux scénarios cependant, la principale question est de savoir qui aura la priorité pour l'utilisation de l'électricité verte et de l'hydrogène produits à l'avenir au Maroc. Le pays exporte déjà de petites quantités d'électricité vers l'Espagne via un câble sous-marin. Afin d'éviter les distorsions de concurrence pour les entreprises espagnoles participant au commerce européen de certificats, Madrid fait maintenant pression pour que l'UE prélève une taxe carbone sur les importations d'électricité produite à partir de charbon. De facto, cela signifierait déjà peut-être que le Maroc n'exportera que son énergie solaire et éolienne et utilisera davantage d'énergie produite au charbon pour ses besoins internes.
Cependant, l'orientation vers l'exportation ne doit pas se faire au détriment de la population locale, autrement la transition énergétique risquerait de perdre sa légitimité auprès des citoyens.
Le Maroc devrait donc veiller à ce que sa propre population bénéficie en premier du boom de l'hydrogène et à ce que la part des énergies renouvelables dans le mix électrique national soit progressivement augmentée. Même si cela signifierait que l'Europe devrait peut-être attendre un peu plus longtemps pour la première livraison d'hydrogène vert…
[1] Avis du Conseil Economique, Social et Environnemental, « Accélérer la transition énergétique pour installer le Maroc dans la croissance verte », Auto-saisine n°45/2020