Le Maroc est un des 16 pays Africains à avoir interdit les sacs en plastique, et notre pays a été largement applaudi pour cela en 2016, à l’occasion de la COP22. Malheureusement, quiconque se balade aujourd’hui dans les marchés et les commerces de proximité, devra se rendre à l’évidence : l’interdiction des sacs en plastique au Maroc n’est plus appliquée.
Une enquête récemment publiée par l’association Zero Zbel[1] a confirmé ce constat. Deux ans après l’entrée en vigueur de la loi 77-15[2] (dite loi « Zéro Mika ») : 60% des commerçants interrogés déclarent que plus de 80% de leur clients demandent systématiquement des sacs en plastique pour emballer leurs courses ; et 65% des clients interrogés sur les marchés déclarent utiliser 5 à 15 sacs en plastique à chaque fois qu’ils font leur courses.
Voici un aperçu rapide de l’enchainement d’erreurs et d’omissions (volontaires ou involontaires ?) qui, depuis le vote de la loi « Zéro Mika », ont mené à la situation actuelle :
- Problème de gouvernance au départ : lié au fait que la loi a été votée sans concertation avec les parties prenantes concernées. Les industriels ont donc été réticents à accompagner le mouvement (en témoignent les nombreux articles de presses et interviews publiées au printemps 2016, soulignant le désaccord des représentants de la plasturgie vis-à-vis de la loi 77-15), et beaucoup de citoyens ont perçu la loi comme une contrainte.
- Mise en application de la loi dans la précipitation : Pour que la loi entre en vigueur avant la COP22, le délai entre son vote au parlement et son entrée en vigueur n’a été que de 6 mois. Ce court délai ne laissait pas le temps à une préparation rigoureuse. D’autres pays ont préparé l’entrée en vigueur de lois similaires pendant 2 à 3 ans. Ce délai leur a servit à sensibiliser et éduquer les consommateurs pour les habituer à utiliser des alternatives aux sacs plastiques, et à accompagner les industriels pour leur reconversion. Au Maroc, un dispositif peu populaire d’accompagnement des industriels a été annoncé trois mois avant l’application de la loi, et une campagne de sensibilisation a été déployée pendant un mois seulement entre Juin et Juillet 2016.
- Mauvaise appréciation de la situation : en 2017, le Ministère de l’Industrie a publié 2 communiqués de presse dressant un bilan très positif quant à l’interdiction des sacs plastiques. D’après ces communiqués, les efforts déployés par le gouvernement auraient permis de réduire drastiquement la quantité de sacs plastiques en circulation… Or, au même moment, il était possible de trouver des sacs plastiques presque partout sur les marchés et dans les petits commerces.
Cette liste n’est pas exhaustive. Je pourrai y ajouter aussi une erreur majeure sur le choix des alternatives à promouvoir pour remplacer les sacs plastiques : les deux seules alternatives qui ont été promues et mises massivement sur le marché sont les sacs en papier et les sacs de courses « non-tissés »… Or, les sacs « non-tissés », qui ressemblent à des sacs en tissus, sont fabriqués en matière plastique (en polyéthylène, exactement comme les sacs à usage unique interdits par la loi). Ces sacs « non-tissés » sont sensés être plus résistants et réutilisables environ 5 fois. Le choix de ces sacs à lui seul pourrait faire l’objet d’un article de plusieurs pages…
Comme le dit si bien Daddy Yankee: « Lo que pasó, pasó » (ce qui est fait, est fait). Laissons derrière nous ces nombreuses erreurs de gouvernance, de stratégie et de pédagogie pour nous intéresser aux solutions.
Comment résoudre la situation actuelle et avancer vers une meilleure application de la loi 77-15 ? Comment bannir les sacs en plastique à usage unique au Maroc ?
Procédons par élimination, comme dans un jeu d’énigmes. Prenons le problème par un bout et déroulons-le avec un peu de bon sens :
Ce jeu d’énigme resterait de toute évidence incomplet si l’on omet de considérer la responsabilité du gouvernement Marocain.
Il est indispensable d’inciter le gouvernement à prendre ses responsabilités, car à la source du problème il y a aussi un manque de pro-activité de la part des autorités en charge de l’application de la loi « Zéro Mika ».
Et cela ne se fera que par un travail de plaidoyer et de mobilisation citoyenne intelligente et constructive. Si le gouvernement ne procède pas à l’évaluation d’impact de la loi 77-15 deux ans après son entrée en vigueur, la société civile doit leur montrer la voie. Il faut mener des enquêtes, sondages et diagnostics, locaux ou nationaux, pour mettre en évidence la persistance du problème des sacs plastiques au Maroc.
Une fois que le problème sera mis en évidence de façon méthodique et rigoureuse, le gouvernement aura deux choix : continuer d’ignorer le problème et mettre en évidence son manque de volonté d’agir ; ou assumer sa responsabilité et trouver un moyen de faire appliquer efficacement la loi 77-15.
Comme je l’ai déjà dit plus haut, j’ai la certitude que la seule manière d’éliminer les sacs en plastique est de traiter le problème à la racine : D’abord en responsabilisant le gouvernement et les autorités en charge de l’application de la loi 77-15, afin qu’ils mobilisent les moyens nécessaires au contrôle et à la pénalisation des producteurs, des contrebandiers et des grossistes (ces derniers étant les plus faciles à identifier). Par là, on travaille à tarir les sources d’approvisionnement.
En parallèle de cela, il faut agir pour limiter la demande. Bien sûr, en renforçant les contrôles et les saisies sur les marchés, mais surtout en communiquant largement et en investissant dans la promotion de vraies alternatives aux sacs en plastique.
A mon avis, il est très facile de faire ses courses sans mika. Le plus dur est de convaincre nos décideurs qu’un Maroc sans sacs plastiques est possible et souhaitable.
[1] Zero Zbel est une association environnementale marocaine militant pour la réduction des déchets : www.zerozbel.ma
[2] La loi 77-15, entrée en vigueur le 1er juillet 2016, interdit l’importation, la production, la distribution et la vente des sacs en plastique à usage unique servant à l’emballage des achats dans le commerce.